Matzneff – Les trois petits cochons

Logo Le Point
Des attentats de Paris est née une « génération Bataclan » dont le manque de spiritualité, de courage et de profondeur fait horreur à Gabriel Matzneff…
01/12/2015
Par Gabriel Matzneff
Trafalgar Square et la gare de Waterloo sont à Londres. La gare d’Austerlitz et la rue d’Arcole sont, elles, à Paris. Aux lieux, aux monuments, on donne des noms de victoires, non de défaites. De même, dans les écoles militaires les promotions de jeunes officiers prennent les noms de soldats victorieux : « Maréchal de Turenne », « Général Lassalle », « Lieutenant-Colonel Amilakvari ». Quand, par extraordinaire, il s’agit de vaincus, ce sont des vaincus qui se sont battus héroïquement jusqu’au bout, ont été vaincus avec tous les honneurs de la guerre : une des promotions de Saint-Cyr se nomme « Ceux de Diên Biên Phu ».

le nom de « génération Bataclan »

Quel est le suicidaire crétin qui a donné le nom de « génération Bataclan » aux jeunes femmes et jeunes hommes qui ont l’âge des victimes du vendredi 13 novembre 2015 ? C’est l’État islamique qui doit donner ce nom à ses jeunes citoyens, non la France, pour qui ce vendredi 13 novembre 2015 demeurera la date d’une de ses plus spectaculaires et déprimantes défaites.

Même pas peur Par Gabriel Matzneff

La médiocrité de cette « génération Bataclan »

Ce choix de « génération Bataclan » exprime un masochisme, un mépris de soi ahurissant. Et l’on est accablé par la médiocrité petite-bourgeoise, l’insignifiance des propos tenus par les survivants de cette « génération Bataclan » lorsqu’ils sont interrogés par les journalistes ou s’expriment sur les réseaux sociaux. Le zozo qui s’est mis une ceinture de cœurs autour de la taille, l’autre imbécile qui se balade avec une pancarte « Vous êtes tous super ! », le troisième qui déclare fièrement que son but dans la vie est de continuer à se distraire, à voir les copains, ces petits bourgeois qui tiennent pour un acte de courage de dîner au restaurant le vendredi soir.

Ceux qui se comportent de manière si niaise, si médiocre sont des adultes, des barbus.

S’il s’agissait de gamins de douze ans, ce serait admissible. Hélas, ce n’est pas le cas. Ceux qui se comportent de manière si niaise, si médiocre sont des adultes, des barbus. J’ai dit « ahurissant », mais le mot juste est « consternant ». Comme a été consternante la cérémonie d’hommage aux victimes dans la cour des Invalides. J’adore Barbara et je connais par cœur certaines de ses chansons, mais ce jour-là, c’est le « Dies irae » qui, après La Marseillaise, devait retentir en ce haut lieu, non une gentille chansonnette, et nous aurions été autrement saisis aux tripes si, à la place du discours fadasse de M. Hollande, un acteur de la Comédie-Française nous avait lu le Sermon sur la mort de Bossuet.

Ils ne vivent pas, ils existent

Cette niaiserie, cette médiocrité s’expliquent par le total vide spirituel de tant de nos compatriotes. Ils ne vivent pas, ils existent, ils ont une vue horizontale des êtres et des choses. Ce sont les trois petits cochons d’une chanson que M. Hollande aurait dû faire chanter aux Invalides, elle lui va comme un gant : « Qui a peur du grand méchant loup ? C’est pas nous, c’est pas nous ! Nous sommes les trois petits cochons qui dansons en rond. »

Pour joindre l’article, cliquez sur le logo du Point

Survivants du Bataclan : « Je t’aime. On ne doit pas mourir »

Logo-M-Attentats-du-13-novembreLE MONDE |

Survivants du Bataclan : « Je t’aime. On ne doit pas mourir »
Caroline Dos Santos et Julien Boudot, rescapés du Bataclan, dans leur bureau de Canal+, à Boulogne Billancourt, le 25 novembre. Jean-François Joly pour « Le Monde ».

S’extraire de l’horreur. Hébétés, ahuris, encore dans l’épouvante. Et courir dans la nuit. Survivants ! Chercher désespérément un taxi au milieu des sirènes. Et se serrer l’un contre l’autre tandis que la voiture file sur les berges de la Seine et s’éloigne de ce théâtre de guerre. Incrédules. Pleins de larmes et de frissons. Avec l’urgence de vivre. De se marier, très vite, comme une évidence. Et de se faire tatouer sur le corps le titre de la chanson et la date associés à jamais à cette soirée funeste et à la renaissance. «  Kiss the Devil 13.11.2015  ». La mort, au Bataclan, a frôlé leur échine.

Ils commencent par la fin pour narrer l’événement, dévoilant, dix jours plus tard, leur avant-bras tatoué. Ils sont encore à vif, fatigués et fébriles. Sans blessure apparente mais totalement meurtris. « Je suis à la fois Jean-qui-rit et Jean-qui-pleure, confesse Caroline Dos Santos, 37 ans. J’oscille en permanence. »

Julien Boudot

Julien Boudot, 36 ans, la tête entre les mains, a le regard perdu vers un lieu que lui seul peut voir. « C’est un truc de malade d’être là ! Il y a eu 89 morts ! Et ça aurait pu être tellement pire. Des milliers de balles ont été tirées, j’entendais les douilles tomber pas loin de nous. » Il se tourne vers sa compagne. « Mais tu sais quoi ? Au fond de moi, il y a de la joie. Cette joie ressentie quand je t’ai entendue hors de la salle et que j’ai compris que tu étais sauve ne m’a plus quitté. Et quand ma gosse dit : “Papa, papa”, c’est inouï la vague qui me submerge. » Elle sait.

Pour lire l’article, cliquez sur le logo du M attentats