Attentats : « C’est un long travail de redevenir heureux »

Publié le 26/05/2017
Par Soline Roy
Dans son livre L’Instinct de vie, Patrick Pelloux raconte comment, lors de l’attentat de Charlie, le médecin urgentiste a agi comme un «automate» sur un champ de bataille jonché de ses amis.
l y a l’avant, « et puis il y a l’après. Ou plutôt l’avec ». Médecin urgentiste, Patrick Pelloux a été plusieurs hommes dans l’attentat qui a frappé, le 7 janvier 2015, le journal Charlie Hebdo. Il a été le rescapé, celui qui aurait dû être là. Le professionnel de l’urgence qui a organisé les secours. Le témoin assailli par les médias. Le guerrier obstiné qui a continué à faire un journal décimé. L’ami qui a vu les siens à terre et a dû continuer « avec ».
Patrick Pelloux peut agacer, mais son Instinct de vie n’est pas un témoignage comme les autres. Il semble écrit à quatre mains : celles de l’homme nous racontent une lourde chute et une lente remontée, tandis que celles du médecin décryptent le chemin parcouru.

« Les confrères qui ont réécouté les bandes sonores de mes appels au Samu n’ont pas reconnu ma voix »

Patrick Pelloux
«Ils (les terroristes, NDLR) ont marché dans le sang de mes amis», lâche-t-il d’abord. Arrivé sur place avant même la police, ce 7 janvier 2015, Patrick Pelloux a vite « senti physiquement (son) cerveau se scinder en deux, cela s’appelle la sidération ». L’instinct, pour lui, est de sauver les autres. Le champ de bataille est jonché de ses amis mais il « fait le tri », soigne, organise les secours et informe le sommet de l’État… « C’est ma fonction. Mon job. » Mais tout est fait, dira-t-il plus loin, « dans un état d’automate. (…) Les confrères qui ont réécouté les bandes sonores de mes appels au Samu n’ont pas reconnu ma voix. »

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Le terrorisme, la terreur et le terrorisé

Paru le 12-05-2015
François Marty
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie, psychanalyste
Les attentats de Paris ont suscité de nombreuses réactions d’indignation, de colère et de solidarité. Ils ont aussi réveillé la peur, parfois l’effroi face à des actes de barbarie où la violence aveugle et froide des terroristes, tuant au hasard, a contribué à désubjectiver chaque victime réduite à une simple cible à atteindre. Cette violence est mise au service de la destruction de l’autre dans une mise en scène de cauchemar, de jeu vidéo. Sauf qu’ici, la scène est hélas bien réelle, comme la mort donnée. La terreur gagne l’espace social tout entier alimentant des fantasmes de persécution, faisant (re)vivre à chacun l’angoisse de la mort.

Les terroristes sont jeunes et ils tuent d’autres jeunes. Ils cherchent, semble-t-il, à détruire une société faite de liberté, de démocratie, de culture, de rencontre et d’ouverture. Cette projection de la violence et de la haine sur l’autre va parfois jusqu’au retournement de cette violence contre soi ; le tueur finit par se tuer, comme s’il achevait ainsi, par sa propre mort, le cycle de cette violence destructrice sans limite, dans un mouvement d’auto-désengendrement.

Le terrorisme n’est pas seulement lié à l’actualité d’un conflit sans fin au Moyen-Orient, il ne s’enracine pas seulement dans une opposition religieuse ou culturelle. Il est aussi le fruit d’une histoire qui remonte à la nuit des temps, comme celle qui jadis opposa Caïn et Abel. La haine fraternelle est première : la fraternité ne parvient à triompher du fratricide que par un travail de culture.

Il y a fort à parier que le terroriste soit lui-même terrorisé* et que la détresse qu’il éprouve le pousse à agir en cherchant à détruire ce qui le terrorise. Mais en situant l’objet à détruire dans l’autre, il se trompe de cible, car ce qui l’effraie est en lui. Nombre de jeunes fragiles narcissiquement, en perte de repère, projettent ainsi sur l’autre ce qu’ils ne peuvent contenir en eux. Et souvent, cet autre est un pair, un rival, un autre jeune. Et souvent aussi, cette haine s’est développée faute d’avoir trouvé d’autres voies d’élaboration, faute d’avoir trouvé des adultes suffisamment protecteurs. Car c’est aux adultes qu’il incombe de prévenir la violence, c’est à eux de proposer des cadres contenant cette violence interne qui fait certes partie de la vie mais qu’il faut apprendre à transformer. Faute de ces assisses sécurisantes, humanisantes, la terreur continuera à terroriser, y compris les terroristes, la violence se transmettra de génération en génération dans la haine et la vengeance.

* Terme emprunté à Michel Angioli dans un texte à paraître

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