« La domination au travail est beaucoup plus dure qu’avant »


La domination au travail est beaucoup plus dure qu’avant »
« Aujourd’hui les gens sont soumis » constate Christophe Dejours pour qui la majorité des travailleurs vivent dans une situation de servitude volontaire. ©BELGAIMAGE
22 octobre 2018
Psychiatre et psychanalyste, Christophe Dejours est professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris), titulaire de la chaire Psychanalyse-Santé-Travail et directeur de recherche à l’Université Paris V. Auteur d’une œuvre abondante sur le monde du travail et les pathologies associées, il dénonce l’avènement des « gestionnaires » dans les années 1980, qui a, dit-il, eu des effets catastrophiques sur la qualité du travail et les pathologies qui en découlent. « En entreprise, si l’exigence de performance devient insoutenable, le risque d’effondrement collectif existe », prévient-il.

Vous êtes un spécialiste des rapports entre l’homme et le travail. Et notamment de la psychodynamique du travail. De quoi s’agit-il ?

C’est une discipline née de la rencontre entre la psychopathologie du travail et l’ergonomie. Elle cherche à comprendre comment les travailleurs parviennent à maintenir intègre leur santé mentale malgré une organisation du travail souvent nuisible… On a ainsi découvert que la normalité est le résultat d’un compromis entre, d’un côté, des contraintes délétères pour le psychisme – qui peuvent conduire à la maladie mentale – et, de l’autre, la construction de stratégies de défense.
Ce qui est néfaste pour le psychisme, c’est la contrainte venant de l’organisation du travail. Et cette contrainte est double. Il y a d’un côté la division technique des tâches qui font l’objet de prescriptions très strictes. Et de l’autre une division politique du travail, à savoir un système de surveillance et de sanctions qui est une nouvelle contrainte.
Depuis Taylor et Ford, l’organisation du travail est essentiellement politique. Taylor compare littéralement l’ouvrier à un chimpanzé qui doit se conduire comme tel. C’est l’obéissance absolue.

Cette conception de l’organisation du travail basée sur la domination, le contrôle, la sanction (donc la peur), est évidemment nuisible pour la santé mentale car le travailleur y perd sa subjectivité, sa créativité, sa maîtrise des moyens, le sens de ce qu’il fait.

Travailler, c’est bien plus qu’exécuter des tâches. C’est une transformation de soi.

Mais depuis Taylor et Ford, l’organisation du travail a sacrément évolué…

Une nouvelle forme d’organisation du travail apparaît dans les années 1980, celle des gestionnaires. Jusque-là, l’organisation du travail était l’apanage des gens du métier. Les directeurs d’hôpitaux, par exemple, étaient médecins.
Mais ils ont été remplacés par des gestionnaires qui ne connaissent rien des métiers. Ils réduisent le travail à un ensemble de tâches purement quantifiables et dont la performance est chiffrable. À travers ces dispositifs, ils ont instauré ce que le juriste Alain Supiot appelle la « gouvernance par les nombres ». Celle-ci détruit tout ce qui était vital au travailleur : les règles et valeurs propres de son métier. Cette méthode gestionnaire détruit aussi volontairement toute coopération. Ce qui a pour conséquence une dégradation de la qualité et de l’efficacité.
Ces gestionnaires ont inventé des techniques nuisibles pour la santé psychique. C’est le cas de l’évaluation individualisée des performances qui introduit la compétition entre les travailleurs et détruit la solidarité. C’est le cas aussi de la précarisation de l’emploi: partout des contrats durables sont remplacés par des CDD et l’intérim. Cette précarité qui augmente développe aussi un sentiment de précarisation chez ceux qui ont une position stable: ils comprennent qu’ils sont menacés eux aussi.

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Une proposition de loi pragmatique sur le burn-out

Une proposition de loi pragmatique sur le burn-out
Par Régis Juanico, député PS Nouvelle Gauche de la Loire
et Boris Vallaud, député PS Nouvelle Gauche des Landes
8 février 2018
Le groupe Nouvelle Gauche propose un nouveau texte législatif pour que le syndrome d’épuisement professionnel soit reconnu plus vite et mieux pris en charge.
De Galien, médecin grec, témoin de l’effroyable mortalité des travailleurs des mines de cuivre de Chypre, à nos jours, la santé au travail a deux mille ans d’histoire, un chemin pavé de luttes, bien sûr, de négociations, de compromis, de grandes lois de la République, mais aussi de progrès économiques et sociaux.
Selon une étude du cabinet Technologia, réalisée en 2014, trois millions d’actifs seraient en risque élevé d’épuisement professionnel, autrement dit de « burn-out ».
Le syndrome d’épuisement professionnel touche les personnels de santé mais aussi les forces de sécurité : les mobilisations récentes dans la police nationale, les prisons, les Ehpad ou les hôpitaux publics en sont la démonstration. Il touche indistinctement les ouvriers, les cadres, les agriculteurs, les médecins, les enseignants, les dirigeants de PME, les artisans, les employés.
Les facteurs de risque du burn-out sont connus et identifiés dans de nombreux rapports : certains modes de management et d’organisation du travail, la pression, la mise en concurrence des salariés, l’isolement, la surcharge de travail, le manque de reconnaissance professionnelle…
Le refus des organisations patronales de faire face à cette réalité,et celui de la majorité de La République en marche (LREM) de laisser prospérer le débat sur la proposition de loi des députés de La France insoumise sur ce sujet, décrivent le front du refus, le choix de l’épuisement des femmes et des hommes au nom d’une vision éculée du développement économique et de l’entreprise.
Alors que cette proposition de loi prévoyait l’inscription dans la loi d’un nouveau tableau de maladies professionnelles, très difficile à faire aboutir dans l’immédiat car nécessitant un accord entre partenaires sociaux, le groupe Nouvelle Gauche propose un chemin pragmatique, consistant à modifier la procédure de reconnaissance complémentaire, hors tableau.
Les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles demandent, en effet, au salarié d’avoir un taux d’incapacité partielle permanente (IPP) de 25 %, ce qui est considérable. Les comités régionaux acceptent 600 dossiers par an en France alors que plusieurs milliers de cas sont diagnostiqués en Belgique ! Du coup, quelque 10 000 cas de burn-out sont reconnus, de façon détournée, comme «accidents du travail». Ces arrêts maladie classiques sont pris en charge par l’assurance maladie financée par tous, alors qu’ils devraient être indemnisés par la branche accidents du travail – maladies professionnelles (AT – MP), financée par les cotisations des employeurs. Ce serait là un moyen de les responsabiliser et de les inciter à une meilleure prévention.
C’est pourquoi le groupe Nouvelle Gauche propose d’expérimenter l’abaissement du seuil de 25 % d’incapacité permanente à 10 %. Pourquoi 10 % ? Les cas de dépression et d’épuisement professionnel donnent lieu à des taux d’incapacité qui se situent entre 12 % et 15 %, la majorité des dossiers de troubles psychiques pourraient ainsi être déclarés recevables et être examinés.
Dans la continuité du rapport de Gérard Sebaoun, adopté à l’unanimité, en février 2017, nous souhaitons, plus largement, repenser la prévention des risques psychosociaux (PRS) dans une politique plus vaste de promotion de la qualité de vie au travail, avec des négociations annuelles obligatoires sur cette question.
Le législateur finit par avoir beaucoup de retard sur la société. Dans quelques mois, des centres de prise en charge de patients atteints de burn-out vont ouvrir dans certaines villes, notamment à Villeurbanne. Les patients seront pris en charge à la journée avec l’accord et le financement de l’agence régionale de santé (ARS), alors que les pathologies psychiques sont très peu reconnues dans notre système qui est devenu complètement inadapté et malthusien. Le débat doit se poursuivre. Le temps n’est plus à tergiverser, mais à agir ! C’est pourquoi, le groupe Nouvelle Gauche déposera prochainement une nouvelle proposition de loi afin d’expérimenter l’abaissement du taux d’incapacité permanente partielle de 25 % à 10 %.

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