Pouvait-on faire un burn-out au Moyen Âge ?

Pouvait-on faire un burn-out au Moyen Âge ?
21 mars 2018
Blogue de
Doctorant en histoire médiévale, Sorbonne Université – Sorbonne Universités

L’Assemblée nationale a rejeté, le 1er février, la proposition de loi avancée par les députés de la France Insoumise visant à reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques liées au « burn-out ». Ce phénomène, que l’on pourrait traduire par épuisement ou surmenage professionnel, demeure un vrai casse-tête à définir pour quiconque souhaite légiférer sur la question, car ses causes sont variées et complexes.

Toutefois, il s’agit d’un véritable fléau, dont les enjeux invitent à porter dans le débat public la question de la place et du rôle du travail. D’un point de vue historique, le XIXe siècle, avec ses révolutions industrielles et ses combats sociaux et ouvriers, a été à l’origine de bien des aspects du travail contemporain. Pourtant, des débats semblables – sur certains points, du moins – avaient déjà lieu au Moyen Âge.


Le marchand de chandelles. Abucasis, Tacuinum sanitatis, Allemagne XVe siècle, BNF

On bosse comme des damnés !

Le mot travail n’apparaît dans le langage courant qu’à la fin du XVe siècle et son étymologie pourrait être très parlante à tout amateur de longues grasses matinées. Il viendrait en effet du mot latin tripallium qui désigne un instrument de torture à trois pieux pour punir les esclaves rebelles – difficile d’avoir une vision plus négative du travail ! Cette funeste étymologie reste néanmoins sujette à débat. Elle a en effet été contestée par le chercheur André Eskénazi, tandis que Marie-France Delport, spécialiste de linguiste hispanique, en partant de l’équivalent espagnol trabajo, avait auparavant proposé de chercher les origines du mot dans le préfixe « tra » qui renvoie à l’idée d’un obstacle à tra-verser. Plusieurs articles se sont par ailleurs fait le relais médiatique de ces corrections étymologiques dans une visée politique et sociale, afin de défendre l’idée que l’on pouvait concevoir le travail autrement que comme une souffrance et plutôt comme un dépassement de soi et un bienfait.

Cette complexité conceptuelle autour du travail se retrouve aussi dans les mots du Moyen Âge. En effet, jusqu’à la fin de l’époque médiévale, le terme de « travail » n’a pas encore émergé. On utilise d’autres vocables qui se rapportent chacun à des visions très différentes du travail. Le travail peut être le labor, qui donnera le mot « labeur », c’est-à-dire une peine. Mais il peut aussi être une ars, autrement dit le métier de « l’artisan », ou encore un opus, d’où est issu le mot très noble d’« œuvre ». Ces différentes conceptions peuvent ainsi tout à fait nous ramener à notre actualité où certains subissent leur travail tandis que d’autres peuvent le vivre comme une source de fierté et d’accomplissement.

Par rapport à ces deux conceptions opposées, le labor médiéval est lui-même une notion plus complexe qu’il n’y paraît. D’un côté, le travail représente le prix à payer pour le péché originel : dans la Genèse, Dieu condamne Adam au travail manuel des champs et Ève au travail de l’enfantement. De l’autre, le Moyen Âge a également fait du labor une activité valorisante. Ainsi, entre le XIe et XIIIe siècle, période de croissance économique, le travail a une véritable dimension spirituelle : le paysan travaille la terre pour l’amour de Dieu et on attend des moines qu’ils ne fassent pas que prier et méditer mais œuvrent aussi à recopier des manuscrits ou à bêcher les champs. Ces deux visions cohabitent sans que jamais l’une ne l’emporte sur l’autre, ce qui a fait du Moyen Âge une période de réflexion et de débat intense sur le travail. La figure du Christ elle-même est au centre de cette dualité : d’un côté, aucun texte du Nouveau Testament ne présente Jésus en train de travailler et ce dernier fait l’éloge des oiseaux du ciel qui « ne sèment ni ne moissonnent » (Matthieu 6 :26) ; de l’autre, Jésus est associé à son père humain, Joseph, travailleur par excellence car tantôt charpentier, tantôt forgeron.

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Le meurtre de l’âme ou meurtre psychique et la perversion narcissique


Dessin de Phil Umbdenstock
Le meurtre de l’âme ou meurtre psychique et la perversion narcissique
Date: 1 mars 2018
Author: Vergnes Philippe
Selon Bergson : « L’œil ne voit que ce que l’esprit est prêt à comprendre ». Mais « l’esprit ne croit que ce qu’il peut comprendre sans effort » pourrait-on lui rétorquer (voir par exemple : les travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky sur les deux systèmes de la pensée cités dans l’article « Peut-on faire confiance à notre jugement ? La fiabilité des “expertsˮ en cause »). Ce qui pose en toile de fond le problème de notre cécité mentale, ou de notre déni de réalité face à des situations complexes et/ou indicibles qui ne peuvent être appréhendées que par un effort intellectuel soutenu et une approche nécessairement pluridisciplinaire. En l’absence d’une telle astreinte pour nous aider à saisir la complexité de la vie, nous marchons dans la pénombre même en plein jour, car l’« ignorance est mère de tous les maux » comme le disait si bien Rabelais. Elle est aussi « la nuit qui commence l’abime » (Victor Hugo). Or, si l’ignorance est de toutes les époques, sa fabrique est devenue une stratégie commerciale vouant un culte au veau d’or d’une croissance effrénée et d’une hyper-consommation de masse destructrice et irresponsable.

Cette ignorance se traduit par la perte de notre esprit critique, de nos capacités d’analyses et de nos facultés de discernement qui sont la cible privilégiée des manipulations que nous subissons tous de par l’impact des « machines à décerveler ». Le risque auquel nous expose ce lavage de cerveau – ou ce décervelage quotidien –, certains auteurs l’ont nommé meurtre de l’âme ou meurtre psychique. Une notion que nous gagnerons tous à connaître, à explorer et à approfondir. Un travail d’une impérieuse nécessité, tant sur un plan individuel que sociétal, car « les hommes libres dans une société libre doivent apprendre non seulement à reconnaître cette attaque furtive contre l’intégrité mentale et à la combattre, mais ils doivent aussi apprendre ce qu’il y a dans l’esprit de l’homme qui le rend vulnérable à cette attaque ».

Les lecteurs de textes psychanalytiques ont déjà rencontré cette expression que Freud a exposée dans son étude de cas sur la paranoïa d’après le livre Mémoires d’un névropathe de Daniel-Paul Schreber qu’il n’a jamais rencontré. Ainsi, Jeanne Defontaine, qui reprend cette analyse freudienne avec les outils conceptuels développés depuis lors par la troisième topique psychanalytique de P.-C. Racamier, écrit : « Freud reconnaît qu’il y a une omission dans le texte des Mémoires : “On aimerait apprendre davantage sur ce que signifie cet assassinat d’âmeˮ, dit-il, “mais ici, les sources de notre information viennent à tarir.ˮ Et de conclure : “Nous restons dans l’ignorance de ce que Schreber entend par assassinat d’âme.ˮ »

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