Le travail est, pour les Français, la 1ère cause de dépression individuelle

Par Corinne Caillaud
16/06/2018
Perçue par une large majorité d’individus comme une maladie qui nécessite une prise en charge médicale, la dépression reste un sujet tabou dans le milieu professionnel.
Le chiffre est alarmant. Selon un sondage Odoxa réalisé pour le laboratoire danois Lundbeck, spécialisé notamment dans la dépression et la schizophrénie, plus d’un quart des Français interrogés (28% exactement) déclarent être ou avoir été touchés par une dépression. Un phénomène en augmentation ces dernières années et dont la perception évolue.
Ainsi, pour 76% des sondés, la dépression est une maladie qui nécessite un accompagnement médical et psychologique, alors qu’auparavant elle était souvent considérée comme un état de faiblesse psychologique. « C’est le syndrome Orangina. Les gens imaginent qu’en se secouant la pulpe va remonter et après ça ira mieux », relève le professeur Raphaël Gaillard, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne.

Stressed businessman sitting in office with head in hands

Une forte pression au travail et un management difficile arrivent en tête des principaux facteurs déclenchant de la dépression, pour 56% des personnes. « Obtenir un travail et le garder est vécu comme une pression majeure, alors qu’il est aussi une modalité d’accomplissement de chacun », souligne le médecin. Si les parcours sont aujourd’hui beaucoup plus fragiles qu’ils ne l’étaient autrefois, ils sont aussi beaucoup plus riches, avec des changements d’entreprise et de métier plus fréquents. « Avoir une carrière variée en fait une force, mais chaque point de bifurcation est sensible », poursuit Raphaël Gaillard.

Exigence de réussite des sociétés modernes

La dépression serait liée à une exigence de réussite de nos sociétés modernes où chaque individu est responsable de ses succès ou de ses échecs. « En se faisant des reproches, les êtres humains se créent une ambiance à déprime parce qu’ils sont déçus d’eux-mêmes. Or c’est très dur d’être déçu de soi-même », poursuit le médecin.
Dans la grande majorité des cas, la dépression n’est pas une maladie chronique. « C’est une fracture qui intervient à un moment de la vie. Elle est suivie d’une période de fragilité, puis de consolidation, un peu comme une fracture de la jambe », précise-t-il. Comme jusqu’alors la dépression était souvent perçue comme une maladie définitive, les personnes qui en étaient atteintes étaient cataloguées comme non efficientes dans le milieu professionnel. Une erreur selon le psychiatre, pour qui elles ont au contraire « une richesse que d’autres n’ont pas, avec une certaine forme de profondeur ». Une grande majorité de ses patients a d’ailleurs repris le travail et « certains pourraient être surpris de leurs fonctions actuelles », souligne-t-il.
La dépression reste cependant un tabou. Selon l’enquête d’Odoxa, les salariés auraient a priori moins de mal à parler d’un cancer que d’une dépression, s’ils étaient touchés par l’une ou l’autre de ces maladies. Dans la première hypothèse, ils en parleraient à 69% à la médecine du travail, contre 58% dans le deuxième cas. « Là aussi, ça tient à ce que vous pouvez vous reprocher. Un cancer, c’est la faute à pas de chance, alors que dans la dépression, on considère que c’est vous-même qui vous fracturez », pointe le spécialiste qui entend de plus de personnes Si des hommes politiques ou chefs d’entreprise témoignaient sur le sujet, le regard porté sur la dépression pourrait alors changer radicalement

Pour lire l’article, cliquez sur le logo du figaro.fr économie

Suicide de policiers – « Des traces psychologiques considérables »

Suicide de policiers : « Ne pas avouer sa faiblesse, même passagère »
par Mounir Belhidaoui
5 janvier 2018
Les policiers, eux aussi, ont le blues. En deux ans le suicide de membres de forces de l’ordre a significativement augmenté. Pourquoi ? Quelques éléments de réponse.
Le 31 décembre 2017, dans la petite commune de Champigny-sur-Marne (94), des heurts entre vigiles, policiers et jeunes ont éclaté en marge d’une soirée organisée dans une salle de la ville. Deux policiers, Laurie et Dominique, arrivés en plein milieu d’une scène de quasi-émeute, furent roués de coups par une bande de jeunes. Ils ont pu être tirés d’affaire par Ali, un garçon de 17 ans. Les deux fonctionnaires se sont vus prescrire respectivement 7 et 10 jours d’incapacité totale de travail (ITT). La soirée n’avait été autorisée ni par la Mairie, ni par la Préfecture.

« Des traces psychologiques considérables »

« Le problème, c’est l’anticipation de l’événement », confie Jules*, un membre du collectif Citoyens et Policiers, qui veut installer du liant et de la confiance entre les personnes et les forces de l’ordre. « Une soirée rassemblant 800 personnes un soir de 31 décembre (moment à risque annuel pour les policiers) aurait dû alerter les autorités. Une solution adaptée aurait dû être décidée en amont ». Cette agression de policiers pose la question de leur condition de travail, et notamment leur formation, « insuffisante ». « Aucune formation à la gestion du stress ou encore à la désescalade des situations violentes » selon Jules*, membre du collectif depuis bientôt deux ans.
Nous comprenons que cette question est intimement liée à celle de la pression que vivent les policiers au quotidien, qui les placent dans des situations de plus en plus insoutenables. Sur la seule année 2017, ce sont près de 40 policiers qui ont mis fin à leurs jours, soit trois fois plus que sur toute l’année 2016. « Les raisons sont à mon sens multifactorielles mais jusqu’à présent, elles ont toujours été caricaturées en « C’est un problème familial » », nous confie Jules* qui nous en dit plus sur la « difficulté du métier : insultes, menaces, violences, interventions sur des morts violentes, accidents de la route, vision du sang, des cadavres, etc… Ça laisse des traces psychologiques considérables, il n’y a aucun accompagnement dans ce cadre suite à tous ces événements ».

« La vie privée peut s’en trouver très impactée »

Le membre du collectif déplore aussi que la police « est un milieu machiste où il faut savoir se montrer fort et ne surtout pas avouer sa faiblesse, même passagère… Cela n’aide pas au dialogue, ça pousse même à l’isolement, voire au drame ».

Pour Loïc Fanouillère, secrétaire général du syndicat Alliance, l’un des plus puissants du métier, cette tendance est surtout liée à la « pression » que vivent les policiers, qui a « connu un pic au moment des attentats » : « sur le coup, la tension est très vive. Quand ça se calme un tout petit peu, les conséquences arrivent assez nettement ». Loïc Fanouillère ajoute des « problèmes de management » à « ne pas généraliser » : « La vie privée peut s’en trouver très impactée, l’intensité de l’emploi est vectrice de fragilité chez certains policiers ». La mise en place d’une cellule psychologique peut-elle être efficace en guise de solution ?
Dans une interview pour la radio RTL, Isabelle Venot, psychologue et chef adjointe du SSPO (Service de soutien psychologique opérationnel), répond, comme Jules*, que cela peut aider. Problème : les policiers y sont récalcitrants. « Il y a encore cette représentation d’homme fort qui tient la route » et « la représentation du psychologue de celui chez qui on va quand on est fou », argumente-t-elle. Les intervenants de ce papier explicatif sont tous d’accord pour dire que l’accompagnement est essentiel pour éviter de nouveaux drames, chez les civils comme chez les policiers, et que doit se rétablir un dialogue quelque peu perdu par la tension de l’époque.

Pour lire l’article, cliquez sur le logo de respect Mag