En 1995, Erik Blondin, gardien de la paix, décrit son quotidien… Son témoignage semble pourtant toujours contemporain…
Par Marie-Dominique Arrighi
8 novembre 1995
Journal d’un policier sous Vigipirate
Gardien de la paix dans le XIVe arrondissement à Paris, Erik Blondin a 39 ans. Entré dans la police en 1983, il a travaillé dans de nombreux services : 1er district, Bac (brigade anticriminalité) de jour comme de nuit. Et même CGE (compagnie de gardes de l’Elysée), à « jouer les plantes vertes » : une sanction pour avoir dénoncé des propos racistes ou certaines attitudes équivoques avec des prostituées.
Représentant syndical, il vient de fonder le SPN (Syndicat de la police nationale), jugé encore non représentatif par le ministère de l’Intérieur. En octobre 1995, Erik Blondin a tenu un journal de bord. Malaise révélateur de l’état d’esprit des flics de base, peu avant le grand meeting policier prévu au palais des Congrès, le 23 novembre.
«Il est 3h50. La sonnerie du réveil retentit. D’un geste nerveux, je la stoppe. Je ne voudrais pas réveiller ma petite famille. J’ai quarante minutes pour avaler mon petit déjeuner et me préparer. Ensuite, mon véhicule m’emmène jusqu’à la gare de Rambouillet pour prendre le train de 4h55. Une heure pour parcourir les cinquante kilomètres qui me séparent de la gare Montparnasse. Je me dis qu’en habitant Paris ou sa très proche banlieue, je pourrais dormir une heure de plus. Mais les loyers sont si chers, et nous avons déjà tant de difficultés à boucler les fins de mois. Vivement la mutation en province !
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« Comment terminer cet état des lieux sans évoquer un dernier effet pervers de Vigipirate ? Il faudrait des instructions et une « formation pédagogique adaptée pour que l’action sur le terrain serve la lutte antiterroriste sans générer d’autres problèmes. Ainsi, des contrôles répétés, qui ne sont motivés par aucune infraction ni élément suspect, sont effectués sur des personnes connues. L’interpellé se sent harcelé et se révolte contre les forces de l’ordre qui, en toute bonne foi, interprètent son comportement comme du racisme anti-flic. Les antagonismes sont exacerbés, les incidents se multiplient, les drames surviennent. De part et d’autre.
Ce qui m’inquiète aussi, ce sont les policiers auxiliaires, de plus en plus nombreux, à qui l’on confie des tâches réservées aux policiers nationaux. Les polices municipales qui gagnent du terrain, les sociétés privées qui petit à petit viennent occuper le créneau qui doit rester celui de la police d’Etat, dans les cités par exemple. Il y a aussi la « police de la RATP ». Tout cela est inquiétant. Il y a aussi les Bac qui sont remises en tenue, surtout pour être vues du public et non dans un esprit d’efficacité. Il y a l’affaire de Belleville, les propos de Skyrock, les paroles du groupe de rap Ministère amer… Et puis certains de nos officiers, qui sembleraient avoir pour mission prioritaire de nous inspirer la crainte qui, elle-même, doit engendrer l’obéissance aveugle, la soumission totale et muette. Cela m’inquiète. »