Stress, burn-out, risques psychosociaux : ces termes techniques nous sont devenus familiers. Le phénomène du mal-être au travail semble toucher de plus en plus de personnes autour de nous, qu’il s’agisse d’un collègue ou d’un proche, quand il ne s’agit pas… de nous-même. Tous les niveaux hiérarchiques sont concernés, tous secteurs confondus : direction d’entreprise, encadrement, exécutants, indépendants. Même les députés, collaborateurs et fonctionnaires de l’Assemblée Nationale ont dénoncé, début juin, des conditions de travail de plus en plus difficiles.
La situation n’évolue pas, alors que jamais la santé mentale au travail n’a été aussi présente dans le débat public et scientifique. Le sujet s’est imposé en 2000 avec les travaux de la psychiatre Marie-France Hirigoyen autour du harcèlement moral. L’hyper-médiatisation des suicides chez France Télécom a suivi, dès 2006. Depuis, se sont enchaînés trois plans Santé-Travail (le dernier couvrant 2016 à 2020), un Accord National Interprofessionnel sur la Qualité de Vie au Travail (en 2013), la loi Rebsamen (en 2015), des groupes de travail ou des missions dédiées, jusqu’aux débats récents autour de la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Aujourd’hui, on attend le rapport de la mission sur la prévention des risques professionnels lancée par le gouvernement en novembre 2017, annoncé pour mars et plusieurs fois reporté.
Ainsi s’installe peu à peu, en chacun de nous, l’idée que la souffrance psychique au travail est une fatalité. Les scientifiques, pourtant, ont des pistes – et même une responsabilité – pour lutter contre ce sentiment général de résignation.
Le burn-out est largement dénoncé mais les cas continuent à se multiplier, générant un sentiment de résignation. alex kotliarskyi unsplash
Des maux difficiles à mettre en mots
L’une des causes assez évidentes au fatalisme ambiant est le contexte global de crise économique et de peur du chômage, où chacun mesure sa « chance d’avoir un travail ». Ces circonstances amènent certains salariés à relativiser leur mal-être, à « faire avec ». Mais elles n’expliquent pas tout. Quid, par exemple, du fatalisme qui s’exprime aussi chez des fonctionnaires en souffrance psychique, alors même que ceux-ci bénéficient de la garantie de l’emploi ?
Au-delà du contexte économique, la résignation tient, à notre sens, à la difficulté de mettre précisément le doigt sur la souffrance mentale. Cet état n’est pas facile à caractériser, y compris pour les chercheurs. Dans une même situation de travail, une personne se sentira stressée alors qu’une autre, non ; une personne peut aussi se retrouver en état de mal-être alors qu’elle ne l’était pas quelques années auparavant, dans un cadre inchangé.
Il est également délicat d’établir un lien de cause à effet entre des facteurs forcément nombreux – parmi lesquels certains relèvent de la sphère privée – et la souffrance mentale d’une personne.
Par ailleurs, les mots pour désigner cette souffrance ne sont pas toujours bien définis, compliquant la « mise en mots des maux », tant par la personne qui souffre que par la personne en charge de prévenir cette souffrance. En effet, un même terme, par exemple « stress », peut recouvrir des réalités différentes selon la personne qui l’utilise, son métier, son milieu ou son expérience. Dans la bouche d’une infirmière, le mot « stress » peut faire référence à sa charge de travail et au manque de moyens pour l’accomplir. Pour un policier, ce mot peut désigner un tout autre phénomène, par exemple les situations d’incertitude où il doit prendre une décision difficile comme dégainer son arme. Ces concepts « valises » rendent les phénomènes difficiles à décrire précisément.