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1845
La Rose de Clichy, signature de la cristallerie
Cette année voit apparaître de nouveaux objets dans la production des cristalleries françaises. La mode des presse papiers, appelés milleefiori par les verriers de Murano, est lancée. Chaque manufacture fabrique ses mille fleurs avec ses propres décors et rapidement les modèles de la Cristallerie de Clichy sont appréciés pour leurs teintes vives et harmonieuses.
Dans la halle de la manufacture, Pierre-Désiré explique à Alexandre le procédé de fabrication :
« D’abord, il a fallu préparer puis étirer des baguettes et couper, avec le charbon Berzélius1, des petits cylindres que l’on appelle « des bonbons » qui deviendront les fleurettes multicolores du décor. Choisis les bonbons qui te plaisent et dispose-les au fond de ce moule pour faire le décor que je recouvrirai de cristal. »
Pour illustrer son explication, le verrier cueille une paraison qu’il dépose avec beaucoup de précaution sur les bonbons qui sont immédiatement collés au cristal. Il aplatit ensuite l’ensemble, le retourne et dépose dessus une nouvelle paraison.
« Maintenant, trempe la mailloche 2 dans le seau d’eau et passe-la-moi pour que j’arrondisse la forme. C’est un moment délicat de la fabrication : la boule doit être parfaitement ronde… Bien, il me reste à séparer le pontil et c’est fini . Nous verrons demain si ton presse-papiers est réussi. »
Ce matin du 30 avril, la pluie arrose généreusement les nouvelles pousses vert tendre du parc. Madeleine aide Anne à s’habiller. Elle a ressorti les robes de grossesse de sa maîtresse, soigneusement rangées dans leur armoire depuis la naissance d’Amédée le 18 octobre 1843. Son troisième enfant est attendu pour le mois prochain et arrondit la jolie silhouette de la jeune femme. C’est aujourd’hui son anniversaire et une fête est prévue dans l’après-midi. En voyant sa maîtresse regarder les nuages avec inquiétude, Madeleine la rassure d’un célèbre proverbe :
« Madame, la pluie du matin n’arrête pas le pèlerin. »
Quelques heures plus tard, l’averse est passée, le soleil réchauffe. peu à peu les préparatifs de la fête, donnant ainsi raison à l’optimisme naturel de Madeleine. Comme chaque année, le personnel de la fabrique offre à Madame Maës une pièce originale spécialement réalisée pour cette belle occasion. Sur une
suggestion d’Alexandre, acceptée par tous les employés, ce sera un presse-papiers.
Arme étant passionnée par les roses, le motif s’est imposé de lui-même, et dans le plus grand secret, les verriers ont préparé la surprise :
Louis Clémandot en choisissant une première teinte rose tendre, une deuxième jaune safran et une autre d’un vert lumineux, Alexandre en dessinant le modèle,
Pierre-Désiré en composant le motif avant de tailler au revers de la pièce, une fois refroidie, une superbe étoile complexe.
Le résultat est là, et le vieux Jules tend timidement à Anne une magnifique boule de cristal ornée d’un nouveau décor formé de petites lamelles d’opaline rose assemblées en cercles finement serrés autour d’un bouquet d’étamines en cristal jaune, le tout composant un bouton de roses posé sur cinq feuilles vertes. Anne, très émue, remercie tous les verriers et les félicite d’être parvenus à « faire éclore dans leurs ateliers cette nouvelle rose », qu’elle
baptise Rose de Clichy. Saisissant l’occasion, Louis-Joseph décide d’ajouter ce décor dans les nouvelles fabrications :
« La Rose de Clichy sera la signature de la cristallerie. »
La Rose de Clichy (dessin – collection Famille Maës)
1 Le charbon Berzélius1 composé de plusieurs gommes naturelles et de noir de fumée/ a la forme d’un crayon. Après l’avoir fait rougir au feu, il suffit de poser la pointe sur un trait de lime préalablement effectué à l’endroit désiré de la coupure, pour que la baguette se coupe d’elle-même.
2 La mailloche est un moule de forme creuse, en bois. Elle sert, en étant mouillée pour éviter de brûler, à ébaucher les formes et à les façonner.
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