Ils expriment la sensation de ne pas se trouver ou de se perdre, avec une volonté plus ou moins grande de s’orienter, révélée par le mouvement du dessin : de gauche à droite, il indiquerait une attitude de grande prudence, tandis que le mouvement inverse révélerait un effort plus grand d’ouverture aux autres.
Avatar par Yann Leroux
Avatar : Représentation graphique de l’utilisateur d’un monde en ligne.
Il existe des avatars de toutes sortes. Des animaux, des personnages de bande-dessinée ou de cartoon, des paysages, des objets, des logos, des lettres servent régulièrement à représenter des personnes dans le cyberespace. Au-delà de leur diversité, les avatars participent à la construction de l’identité.
Les premières utilisations du mot avatar pour les mondes numériques sont associées au jeu Habitat (Lucasfilm, 1985). Le jeu innovait en donnant pour la première fois aux utilisateurs d’un MUD* la possibilité d’être représentés par de petits personnages. Les avatars de Habitat ont une forme humaine, et peuvent effectuer des actions comme se déplacer, ramasser des objets ou les manipuler. Ils peuvent parler entre eux et faire des gestes. Le joueur contrôle le déplacement de l’avatar grâce à la manette de jeu et communique avec les autres joueurs en tapant son texte. Les messages apparaissent alors sous la forme d’une bulle au-dessus du personnage.
Le terme avatar a été largement adopté sans doute parce qu’il capture un imaginaire de la toute-puissance. Les utilisateurs sont comme des dieux manipulant la réalité du monde en ligne au travers de leurs manifestations numériques. Dans la tradition hindouiste, un « avatar » est la représentation d’un dieu sur Terre. Comme les dieux du panthéon hindou, ils peuvent à la fois beaucoup et peu. Ils peuvent créer ou détruire à volonté de nouvelles réalités. Mais ils sont limités par la forme qu’ils prennent dans le monde comme des dieux qui se soumettent volontairement aux limitations d’un corps de chair.
Le roman de Neil Stephenson : Le Samouraï Virtuel (1992) et les nombreux films qui s’en inspirent ont contribué à populariser le terme. Le roman décrit les aventures d’un hacker dans un monde virtuel appelé Métavers. L’avatar est introduit de la manière suivante :
“Vous pouvez donner à votre avatar l’aspect qui vous convient, dans la limite de votre équipement. Si vous êtes moche, votre avatar peut être beau comme un dieu. Si vous sortez du lit, ça n’empêche pas qu’il soit sapé comme un prince ou maquillé par des professionnels. Dans le Métavers, vous pouvez ressembler à un gorille, un dragon ou un pénis géant doté de parole. Baladez-vous cinq minutes sur le Boulevard, et vous verrez tout ça.”
Stephenson, Neal, and Guy Abadia. Le samouraï virtuel. Librairie générale française, 2000.
Lorsque en 1995, TimeWarner ouvre The Palace, le mot avatar est déjà utilisé pour représenter une personne dans un espace numérique dans la fiction et dans les jeux vidéo. Outre Habitat déjà cité, les joueurs de jeux vidéo ont rencontré la figure dans Ultima IV : Quest of the Avatar (1985) dans lequel le joueur est appelé à devenir le prophète d’une nouvelle religion en exerçant “les huit vertus de l’avatar” et trouver le Codex de la sagesse ultime. Ils le retrouvent dans l’adaptation vidéo ludique du jeu de rôle Shadowrun en jouant le rôle de Jake Armittage dont le nom est à un “t” près à peu près le même que le personnage qui envoie le héros du Samouraï Virtuel à l’aventure. Dans The Palace, les joueurs utilisent le mot “avatar” pour désigner le personnage qui les représente. Mais ils prennent également l’habitude d’utiliser le mot “prop” pour désigner les objets et les personnages du MUD. Dans la langue anglaise, un “prop” est un objet porté ou utilisé par un acteur. Il sert de point d’appui au jeu dramatique. De la même manière, dans The Palace, un “prop” est quelque chose qui permet à l’utilisateur de s’installer dans un rôle et de faire connaître un personnage. Que serait par exemple un avatar magicien sans son bâton et son chapeau pointu ?
Les mondes graphiques comme Second Life* , les forums* et les systèmes de messagerie instantanée vont installer les avatars dans les pratiques numériques. Dans ces trois espaces, les utilisateurs sont représentés par des images qu’ils se donnent. Lorsqu’ils ne choisissent pas l’image, une image par défaut leur est attribuée par l’application. Dans Second Life, l’avatar est un personnage customisable. Chaque utilisateur s’invente un prénom et choisit un nom parmi une liste imposée par l’application. Il choisit entre un avatar humanoïde dont il peut modifier l’apparence. L’avatar de Second Life permet au joueur d’interagir avec le monde.
Sur les forums et les messageries instantanée, l’avatar est une petite image choisie par l’utilisateur. Elle permet d’identifier rapidement l’auteur de chaque message du forum. L’image peut être animée. Elle est alors composée de plusieurs images qui sont affichées en boucle.
Dans les jeux vidéo, le terme de “perso” (pour “personnage”) est utilisé en concurrence avec celui d’avatar. Le mot vient du monde du jeu de rôle dans lequel chaque personnage est décrit par une fiche qui détaille ses caractéristiques physiques et psychologiques. Il est assez naturel que ce soient dans les MMORPG* c’est-à-dire les applications numériques en réseau des jeux de rôle que les avatars soient les plus investies. Le livre du photographe Robbie Cooper Alter Ego Avatars and their creators, montre les ressemblances troublantes qui existent entre les joueurs et leurs représentations numériques. Les consoles Nintendo DS et la Wii proposent aux joueurs de créer des avatars qui ont pour nom des “Mii” (homophone de “me” c’est-à-dire “moi”). Les Mii créé peuvent ensuite être utilisés directement dans certains jeux.
La marionnette et le marionnettiste
Ces Moi numériques peuvent être fortement investis par les joueurs. Ils le sont en tout suffisamment pour que des joueurs acceptent de dépenser de l’argent pour améliorer l’apparence de leur avatar. Plusieurs études ont montré un effet des avatars sur les joueurs appelé “effet Protée” (Yee & Bailleson, 2007). Dans les mondes numériques, les personnes ont tendance à se conformer à leur avatar. Cet effet n’est pas limité au monde du jeu. Yee et Bailenson montrent que des personnes qui ont joué avec un avatar sexy ont tendance à avoir des interactions plus intimes que des personnes qui ont joué avec un avatar moins attractif. Ceux qui ont joué avec un grand avatar se montrent plus confiants dans une tâche de négociation que les autres joueurs.
Cet effet a été retrouvé par plusieurs études. Jorge Peña montre qu’après une discussion virtuelle avec des avatars habillés en noir, les personnes se montrent plus agressives que celles qui avaient utilisés des avatars habillés en blanc. Dans une seconde expérience, les personnes qui avaient un avatar Klu Klux Klan développent des histoires plus agressives au Thematic Apperception Test que les personnes du groupe contrôle. Une autre étude s’est intéressée à l’impact des avatars sur les pensées. Des joueurs habillés avec des habits glamours produisent des histoires davantage orientées vers le sport, les loisirs, la beauté ou les habits. Ceux qui ont une tenue plus formelle produisent des histoires en lien avec l’éducation, les livres et les chiffres. Ces deux études montrent que les avatars ont, par leur seule apparence, un effet d’amorçage sur les pensées et les émotions.
Toutes ces études montrent que si la personne agit sur son avatar comme un marionnettiste agit sur sa marionnette en le faisant agir en lieu et place de sa personne, la marionnette a également une influence sur la personne.
Les fonctions de l’avatar
John Suler est un des tous premiers psychologues à avoir exploré les pratiques numériques. A partir de son expérience personnelle, il applique aux avatars du Palace deux grilles d’interprétation. La première est théorique tandis que la seconde est descriptive. Suler fait l’hypothèse que les grands traits de personnalité (narcissique, schizoïde, paranoïde, dépressif, maniaque, masochisme, obsessionnel/compulsif, psychopathique, histrionique, schizotypique) pourraient trouver une figuration dans différents avatars. Il décrit également différentes catégories d’avatars : les animaux, les cartoons, les célébrités, les démons, les photographies réelles, les idiosyncrasiques, les positionnels, les puissants, et les séducteurs. A ce jour, aucune recherche n’a pu montrer de façon convaincante une relation directe entre les traits de personnalité et un type d’avatar.
La recherche qualitative a pu montrer que les avatars permettent de soulager le psychisme de tout ce qui l’accable ou de se représenter tout ce qu’il désire. En ce sens, ils ont une valeur psychologique soit parce qu’ils permettent à la personne d’éloigner momentanément ce qui est pour lui une cause de souffrance, soit parce qu’ils favorisent la représentation de ce qui est agréable. Par exemple, un avatar peut être utilisé pour incarner un fragment de soi ou une personne connue, aimée ou redoutée. L’avatar peut aussi être utilisé pour mettre en scène des difficultés relationnelles présentes ou passées.
Parce que l’avatar est modelable, personnalisable, transformable, il est souvent le reflet du joueur. Pour Tordo et Hajj, les avatars sont des représentant du Soi du joueur ou sont investis comme un lieu de sensations ou d’excitations. Il est souvent présenté comme un représentant des désirs infantiles et narcissiques des joueurs parce qu’ils sont le moyen par lequel des actions puissantes peuvent être réalisées. Mais les avatars sont aussi investis comme représentants des sensations ou des excitations ressenties dans le corps du joueur.
Si comme porte-excitation, l’avatar est un représentant du monde interne du joueur, il est aussi un représentant du monde extérieur. En effet, les avatars s’inscrivent dans des univers et des scénario pré-établis. Par la figure du Chasseur de World of Warcraft connecte le joueur à un imaginaire déjà structuré. Un tel personnage se doit d’être proche de la nature, discret, ami des bêtes, maître en pistage, agile etc. L’avatar est donc aussi une figure centripète. En l’utilisant, le joueur ne fait pas que signaler aux autres des éléments personnels. Il attire à lui et intègre à sa personnalité des éléments qui sont apportés par la culture.
Si l’avatar est proche du joueur, il en est aussi éloigné. En effet, l’avatar est toujours au-delà du joueur car il n’est pas accessible directement. L’écran sépare et met en contact le joueur avec son avatar. En ce sens, le joueur est acteur dans la création et la manipulation de son avatar. Mais il en est aussi le premier spectateur. Le joueur se donne ainsi au travers de son avatar un miroir qui lui permet d’être le spectateur de ses propres actions. L’écran joue donc le rôle de séparateur. Le joueur est à la fois spectateur et acteur. Le miroir transformant de l’avatar permet au joueur de vivre des histoires héroïques ou terribles. Il en est à la fois touché et indemne puisque ces aventures sont sans conséquences pour lui tout en ayant des effets visibles sur son avatar.