22 v’là le burn-out

par Chris, policier
Publié le 7 novembre 2017

J’ai rencontré Jules voilà quelques semaines. Nous faisons le même métier. Nous discutions, et il puis il s’est mis à me parler d’un sujet bien particulier. Si peu connu. Voir pas du tout. Pas reconnu du tout, voir tourné au ridicule. Vous l’aurez compris, il s’agit du burn-out. Le temps a passé, et ces jours-ci, à l’occasion d’une situation que j’imagine assez proche dans certains aspects, cette conversation m’est revenue à l’esprit. Ce sujet mériterait bien mieux qu’un simple billet de blog, et Jules saura vous en parler, de manière bien plus complète. Mais déjà, si l’on peut poser des mots…

Je vous laisse faire connaissance avec Jules. Un flic, comme moi, parmi tant d’autres.


Enfin ! Je sors de l’école de police

Fier de porter cette tenue de cérémonie devant ma famille, je jette ma casquette en l’air avec enthousiasme. Après une formation théorique de près d’un an, j’ai hâte de passer à la pratique et au terrain. Je ne suis pas encore conscient de ce qui m’attend, mais peu importe. Je suis en train de donner un sens à ma vie.

Quelque temps plus tard…
Quel choc ! Des trains à deux étages (RER), des tours d’immeuble gigantesques, un rythme de vie stressant, des horaires atypiques et décalées (un week-end sur six en congés). Une de mes premières interventions se déroule au pied de tours de plus de vingt étages. Un jeune homme d’une vingtaine d’années vient d’être assassiné en plein jour, pour une affaire de drogue. La population du quartier, qui est sous le choc, est hostile à la police “qui n’était pas là au bon moment”. Entre deux jets de pierres dans notre direction, la radio retentit : “Urgence ! Un individu vient de s’évader du commissariat ! Il a sauté du deuxième étage et a pris la fuite à pied en direction de… ” Je me tourne vers mes collègues et je leur demande naïvement : “C’est comme ça tous les jours ?” Ils me répondent en choeur : “Bienvenue stagiaire (avec humour) de merde.” Je reste sans voix, mais peu importe. Cette nouvelle vie dynamique va me permettre de trouver un sens à ma vie.

Quelque temps plus tard…
« Je me suis vite adapté à mon environnement de travail et je mets beaucoup de coeur dans mes tâches quotidiennes. L’imprévu, l’adrénaline, la peur et l’action sont mon quotidien. J’interviens dans tout type de situations dramatiques : accidents de la route, incendies d’appartement, découverte de cadavres, violences conjugales, interpellations houleuses, pauvreté, etc. Je commence à comprendre que ce métier est très dur et qu’aider mes concitoyens n’est pas toujours possible, mais peu importe. Pas le temps de digérer, je repars sur un appel 17. J’enferme ces images dans une boîte, je fais du sport pour extérioriser et je continue mon apprentissage avec passion. »

Quelque temps plus tard…
« Après des années sur la voie publique à assister, protéger et servir, je change de fonction et m’oriente vers l’enquête judiciaire. Véritable révélation de ce début de carrière, ce goût pour l’investigation et la procédure pénale m’anime et me pousse à devenir officier de police judiciaire : plus de deux cents dossiers en portefeuille (plus de deux cents êtres humains qui attendent), des conditions de travail rudimentaires, archaïques et indignes d’un service public moderne, un véhicule pour une quarantaine d’effectifs et la frustration d’être dans l’incapacité de satisfaire l’attente des victimes face à leurs souffrances. Il faut sortir les dossiers très urgents au détriment des dossiers urgents, qui passent avant les dossiers moins urgents. Mais peu importe. Je multiplie les heures supplémentaires pour pouvoir avoir le temps de tirer le fil d’une “belle affaire”. »

Quelque temps plus tard…
Suite à la “belle affaire”, me voilà propulsé au service des “stups”. Il n’y a plus de victimes dans l’attente du suivi de leur plainte mais une forte demande d’action contre les trafics. Le quotidien, c’est l’enchaînement des gardes à vue à gérer, des auditions de personnes interpellées avec un joint ou une barrette de shit, dans une ambiance exigeante et odorante. Quelques belles affaires pour se rappeler que, de temps en temps, je suis là pour interpeller des trafiquants, mais très vite le quotidien et les saisies ridicules me rattrapent. “Ah ! La balance n’est pas assez précise pour obtenir un poids, pendant ce temps-là les tontons me parlent de kilos et je suis contraint de mettre sous scellé moins d’un gramme, pas aussi lourd que le tas de papiers qui va avec ! Ne critique pas l’administration ! Devoir de réserve ! Chut !” Les troubles du sommeil commencent et se font de plus en plus réguliers. Je me réveille en pleine nuit : “J’ai oublié d’annexer le certificat médical du gardé à vue !” Mais peu importe. Charlie Hebdo, Montrouge, l’Hyper Casher, je n’ai pas le droit de me plaindre. »

Quelque temps plus tard…
« “Chef, quand est-ce que l’on va être renforcés ? Je peux avoir un stage à la PJ ? L’informateur me parle de vingt kilos, on va faire quoi ? On a beaucoup (trop) de gardes à vue en ce moment, ça devient difficile.” Pas de réponse. Le silence. C’est le plus pesant. Cette absence de perspective, je ne la supporte plus. Ces victimes que l’on prend en compte pour les statistiques, je ne supporte plus de leur mentir. Je viens le matin avec une sorte de boule au ventre, cette aigreur qui vous prend aux tripes et vous consume de l’intérieur. Je ne supporte plus l’absurdité des tâches quotidiennes et cette politique du chiffre qui me mine tant. Je ne supporte plus cette hiérarchie qui persiste dans sa spirale de résultats et de performances : sortir les dossiers à tout prix. Dans quel but ? Qu’ils aboutissent devant la justice ou pour illustrer un tableau mensuel ? Je deviens irritable avec mes proches, voire cynique. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que j’avais un problème : le “burn-out”. »


C’est quoi, le « burn-out » dans la police ?

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il se caractérise par « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ».
Le syndrome d’épuisement professionnel (humain, pas celui des voitures de police) provoque une fatigue profonde, un désinvestissement professionnel et un sentiment d’échec et d’incompétence dans le travail. Il est considéré comme une résultante d’un stress professionnel répétitif.
Les policiers méconnaissent le burn-out et ses mécanismes, s’imaginent que ça ne peut pas leur arriver, car on se doit d’être solide dans la police. Ils entendent vaguement parler de risques psycho-sociaux, sans savoir ce que cela signifie, alors que les policiers sont soumis à des conditions de travail propices au développement des dits risques. Ces hommes et ces femmes qui masquent leur souffrance sous l’uniforme (ou la tenue bourgeoise) donnent tant au travail qu’un jour, ils craquent : troubles du sommeil, ruminations professionnelles la nuit, baisse du plaisir à travailler (même si, auparavant, on était très motivé), irritabilité, repli sur soi, agacement, désinvestissement social et familial, fatigue, stress, cynisme envers les citoyens ou les collègues, violences ou idées noires sont autant de signes à détecter et à reconnaître. À force de remplir la boîte à « traumas », elle déborde.
Le déni est comme les entraves administratives. L’article 803 de ce menottage intellectuel nous prive de la liberté de révéler les empreintes de la souffrance au travail.
Mais ces femmes et ces hommes se doivent d’être forts, courageux, et ne peuvent imaginer se mettre à pleurer sur une scène d’accident mortel. Quel regard porteraient leurs collègues s’ils dévoilaient qu’ils se sentent débordés ? Lorsqu’un policier « avoue » vivre une période difficile, la première réaction, c’est de lui enlever son arme (sur avis médical ?). Compréhensible, mais qui est protégé ? Mais on lui enlève ainsi le droit de travailler dans la rue et, s’il n’est pas en congé maladie, on l’assignera à faire des photocopies ou à remplir les tableaux statistiques. Tout le monde saura alors qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Tout le monde se dira, à tort : « Il n’y a pas de fumée sans feu. »
Le #BURNOUT policier actuel, cette perte de sens, a pourtant fait l’objet de commentaires publics qui tendent à stigmatiser ses victimes en frondeurs déloyaux, ces fainéants qu’il faut traquer pour dissuader les autres. Les faire culpabiliser pour les faire rentrer dans le droit chemin permet d’éviter de reconnaître l’ampleur du problème et des conséquences sur la santé, physique et mentale. On sait pourtant que la meilleure thérapie est le retour au travail, avec du sens.
L’espoir de reconnaissance, quant à présent, est mince.
Mais ce « coming burn-out » est ô combien salvateur. Chaque policière, chaque policier, chaque échelon hiérarchique doit se sentir libre d’évoquer le sujet, d’être formé et, si besoin, d’appeler à l’aide ou d’aider, avant de se/le laisser « brûler par l’extérieur ». Ceux qui l’ont pris en charge et affronté en ressortent grandis.

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Est-on plus faible après un burn-out ?

Est-on plus faible après un burn-out ?
mardi 07 novembre 2017
Par JULIE ARCOULIN
Vous me racontez trop souvent, en consultation, que lorsque vous retournez au boulot après un burn-out, vous êtes considéré(e) comme plus faible, plus fragile, moins solide etc. Quand vous êtes confronté(e) à ce genre de jugements, cela vous poignarde. Et je vous comprends ! C’est pour cette raison que, cette semaine, j’ai choisi de vous parler de l’après burn-out. La chronique de Julie Arcoulin, spécialiste en développement personnel et relationnel.

C’est quoi un burn-out ?

Terme largement utilisé et à la mode, cela n’en est pas moins un réel fléau. Vous avez remarqué que les choses dont on parle beaucoup finissent par tomber dans la catégorie « tendance » et du coup, perdent en crédibilité ? Moi, ça a le don de m’énerver. Le burn-out est réel, une vraie question de santé publique trop souvent prise à la légère.

Il s’agit d’un épuisement auquel on a d’abord attribué des causes professionnelles. De plus en plus, les spécialistes du burn-out s’accordent pour dire qu’il s’agit aussi d’un épuisement privé. En effet, on peut aujourd’hui définir un profil plus sensible au burn-out et les personnes qui s’épuisent professionnellement, s’épuisent tout autant d’un point de vue privé.

Les personnes touchées par le burn-out sont des bulldozers qui ne connaissent pas leurs limites et qui ne s’en mettent pas. Elles ne savent pas dire non, acceptent trop, encaissent sans broncher et sont perfectionnistes. Le burn-out arrive quand, pendant une longue période, le stress s’est frayé un passage, puis une place de choix dans leur vie. Entre professionnels du secteur, on s’accorde à dire que ce sont souvent les meilleurs éléments qui sont touchés. Contrairement aux idées reçues.

Le point de non retour

Après cette longue période durant laquelle vous avez été soumis(e) à une trop grande pression, vous avez fonctionné en mode automate, sur le fil de manière permanente. Plus moyen de débrancher, plus moyen de penser à autre chose qu’au boulot, le stress attire le stress. Tout devient source de tensions internes. Au boulot comme à la maison.

Un jour, d’une façon ou d’une autre, le corps lâche. Bien souvent, votre corps vous a envoyé des signes que vous n’avez pas voulu entendre. Vous vous sentez alors épuisé, sans énergie, incapable de bouger ou de continuer à monopoliser de l’énergie. Les choses ont, petit à petit, perdu de leur sens. Le burn-out est souvent associé à une profonde remise en question. À condition que vous preniez en compte les messages que ce burn-out vous envoie.

Il y a différents stades de burn-out

Il y a des signes physiologiques, mesurables et quantifiables qui permettent de « mesurer » le burn-out. Un médecin, un bon, peut vous aider à y voir clair. Le stress a des conséquences sur l’organisme, d’autant plus si la période de stress est longue.

Evidemment, il y a des personnes qui usent, abusent et profitent de l’effet de mode du burn-out. Mais, encore une fois, cela n’en fait pas un mal imaginaire pour autant. Il y a différents stades d’épuisement. Quinze jours d’arrêt maladie ne sont pas suffisants en cas de burn-out confirmé. Le chemin de la reconstruction est long et beaucoup d’apprentissages doivent se faire en route pour ne pas rechuter.

Seul un médecin peut vous éclairer sur le stade de burn-out dans lequel vous vous trouvez. Une fois le diagnostic posé, il ne faut pas brûler les étapes. L’un des points communs avec les personnes touchées par le burn-out c’est que dès qu’elles récupèrent de l’énergie, elles recommencent à brûler leurs réserves. Je dois me battre avec vous qui venez me voir en consultation, pour vous pousser à vous reposer suffisamment avant de reprendre votre rythme de bulldozer.

Comment gérer l’après burn-out ?

NON, les êtres qui ont été touchés par le burn-out ne sont pas plus faibles quand ils en sortent. Au contraire. À condition qu’ils aient fait les apprentissages nécessaires en cours de route. Sinon, c’est la rechute assurée.

De la même façon, lorsqu’on fait un burn-out, il y a plusieurs facteurs à prendre en compte. Se cache souvent derrière ce fléau, un management toxique qui épuise, du harcèlement sous toutes ses formes professionnelles ou privées, un profond sens du sacrifice et de la perfection. Si, lorsque vous reprenez le travail, rien n’a changé, c’est également la rechute assurée. Il est complètement idiot et grotesque de réintégrer quelqu’un exactement là où il était sans avoir traité les problèmes de fond. Si chaque entreprise prenait la peine d’analyser et de comprendre et ensuite d’agir avec les mesures qui s’imposent, elle gagnerait beaucoup d’argent. Et ses employés gagneraient en qualité de vie au travail et donc en bonheur.

Malheureusement, quand il y a de la toxicité dans l’air, la société a tendance à faire l’autruche ou à glisser le problème sous le tapis en attendant que ça passe. C’est, pour moi, de la non-assistance à personne en danger et de la complicité. Je passe mes journées à vous écouter me raconter que votre chef, gentil mais un peu mou, ne prend pas ses responsabilités pour clouer le bec de la personne harceleuse. Complicité ! Dans beaucoup de sociétés, ce sont finalement les meilleurs éléments qui finissent pas partir et les poisons restent. L’histoire se répète ainsi à l’infini.

Revenir au boulot dans les mêmes conditions qu’avant est absurde. Tant pour l’employeur que pour l’employé. Mais il faut du courage pour faire changer les choses et mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Votre part du boulot

Si vous faites partie du club des burn-out, vous savez qu’une remise en question s’impose et que vous allez devoir faire de petits ajustements avec vous-même pour ne plus retomber dans vos travers. Apprenez à dire non, à mettre vos limites, à vous respecter, à faire de vous une priorité. Faites-vous accompagner pour le petit coup de pouce qui vous permettra de donner une impulsion aux changements que votre burn-out vous invite à faire.

Si vous le décidez, votre burn-out, aussi douloureux soit-il sera une formidable occasion de vous réinventer.

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