Violences sexuelles : un projet de loi critiqué avant le débat à l’Assemblée

Violences sexuelles : un projet de loi critiqué avant le débat à l’Assemblée
Par Laure Equy et Anaïs Moran
13 mai 2018
Le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes est débattu à partir de lundi en séance publique à l’Assemblée nationale. La mesure contre les agressions sur mineurs concentre les critiques des associations et de certains élus.
Sept mois après l’affaire Harvey Weinstein à l’origine du mouvement « MeToo », le projet de loi «renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes» est discuté, à partir de lundi, en séance publique à l’Assemblée nationale. Très attendu, le texte porté par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa,
• prévoit de rallonger le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs,
• de verbaliser le « harcèlement de rue » et de lutter contre le cyberharcèlement. Mais au-delà de ces trois mesures, le sujet qui cristallise les débats porte sur une question juridiquement épineuse : un mineur de moins de 15 ans peut-il être consentant à un rapport sexuel avec une personne majeure ? Longuement débattu par les députés en commission la semaine dernière, cet article est contesté par les associations d’aide aux victimes qui jugent sa rédaction trop timide et en deçà de l’annonce gouvernementale.

De quoi parle-t-on ?

L’idée d’une «présomption de non-consentement» émerge au sein du cabinet de Marlène Schiappa en novembre. A cette époque, deux procès pour violences sexuelles sur mineures suscitent l’indignation. Le 26 septembre à Pontoise, le parquet prend la décision de poursuivre pour atteinte sexuelle, et non pour viol, un homme de 28 ans qui a eu une relation sexuelle avec une enfant de 11 ans. Le 11 novembre, la cour d’assises de Meaux acquitte un homme accusé de viol sur une autre fillette de 11 ans. Aussitôt, les associations montent au créneau et dénoncent un arsenal législatif incomplet pour la protection des mineurs. La secrétaire d’Etat évoque son intention d’instaurer un âge de consentement sexuel : jusqu’à ses 15 ans – le seuil d’âge que souhaitait Emmanuel Macron – un enfant n’aura plus besoin de prouver qu’il n’était pas consentant. Autrement dit, un acte sexuel sur mineur de moins de 15 ans sera automatiquement considéré par la justice comme une agression sexuelle, ou un viol s’il y a eu pénétration, pour « qu’il ne puisse plus y avoir de débat sur la capacité d’un enfant à être consentant à un rapport sexuel avec un adulte », a déclaré Schiappa le 8 mars. Actuellement, selon le code de procédure pénale, pour caractériser un viol, il faut démontrer que la victime a subi une « contrainte, une violence, une menace ou une surprise », sans que soit pris en compte son âge. La «présomption de non-consentement» existe dans d’autres pays occidentaux comme le Royaume-Uni (âge fixé à 13 ans), la Belgique (14 ans) ou l’Espagne (12 ans).

Que prévoit le projet de loi ?

Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait que si l’acte est commis par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans, l’agression sexuelle ou le viol seraient constitués lorsque l’auteur «connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime». Sauf que dans son avis rendu en mars, le Conseil d’Etat a soulevé le risque d’inconstitutionnalité d’une telle mesure, y voyant une atteinte au respect de la présomption d’innocence. Le gouvernement a donc revu sa copie : pour étayer le non-consentement de la jeune victime, il s’agit désormais de préciser les notions de «contrainte morale» ou de «surprise» en prenant en compte « l’abus de vulnérabilité » et son « discernement ». Pas loin du statu quo par rapport à la situation actuelle.
Par ailleurs, le texte renforce les sanctions pour les délits d’atteinte sexuelle sur mineurs de moins de 15 ans (en portant la peine de cinq à sept ans d’emprisonnement, voire dix ans s’il y a eu une pénétration sexuelle). Et ce, s’il n’a pu être prouvé qu’il y a eu viol ou agression sexuelle. Une mesure qui permettrait d’«éviter un acquittement», défend Marlène Schiappa : «Nous aurons ou une condamnation pour viol, y compris lorsque l’on soutient que l’enfant ne s’est pas débattu, ou, lorsque le juge ne peut pas aller dans ce sens, qualifier l’acte d’atteinte sexuelle.» Pour la rapporteure, la députée LREM Alexandra Louis, cette option trouverait une ligne de crête entre « la protection des victimes d’infractions sexuelles et les garanties constitutionnelles ». «On présuppose une vulnérabilité particulière pour un mineur de moins de 15 ans, la qualification de viol sera donc facilitée pour le juge qui aura une vigilance accrue», assure Dimitri Houbron, responsable du texte pour le groupe LREM.

Que craignent les associations ?

Pour beaucoup d’associations d’aide aux victimes mais aussi de professionnels judiciaires, l’abandon d’un âge de non-consentement sexuel passe mal. « Sans présomption de non-consentement, ce sera toujours à la victime d’établir les preuves au magistrat. Une simple précision de la définition de viol n’aidera en rien la victime », regrette Carine Diebolt, avocate de la victime dans l’affaire de Pontoise.
Ce point devrait à nouveau susciter d’âpres débats dans l’hémicycle. En commission, plusieurs députés, de l’opposition mais aussi LREM ou Modem, ont tenté de muscler le texte, en proposant au moins que tout acte sexuel commis sur un mineur de moins de 13 ans soit qualifié de viol ou d’agression sexuelle. « Les attentes sont tellement fortes que ce serait une reculade de ne pas fixer un seuil infranchissable », a invoqué Philippe Latombe (Modem). Clémentine Autain (La France insoumise) a aussi plaidé pour « une inversion de la charge de la preuve, soit la possibilité de demander à une personne majeure de faire la preuve qu’elle n’a pas violé un enfant de 9, 10, 11 ans ». Ces amendements ont été rejetés.
Les associations redoutent également une déqualification des viols en simples délits.
Leur argument : les magistrats, qui peineront toujours à mettre en évidence la « contrainte morale » ou la « surprise », préféreront renvoyer l’affaire en correctionnelle afin d’éviter le classement sans suite et d’assurer une lourde sanction à l’auteur des faits.

« Le rallongement des peines pour atteinte sexuelle ne va faire qu’accentuer le phénomène de correctionnalisation des viols, alerte Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. En parlant d’atteinte sexuelle avec pénétration, on continue à sexualiser un enfant. Mais le viol ce n’est ni de la sexualité ni un délit, c’est un crime. »

Du côté du cabinet de Marlène Schiappa, on se défend de toute déqualification en évoquant des « outils supplémentaires » à disposition des magistrats (l’apparition des notions de « vulnérabilité » et de « discernement ») qui faciliteront la preuve du non-consentement et donc le jugement en cour d’assises.

Pour lire l’article, cliquez sur le logo de Libération

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.