« Diesel et les attentats de Paris » Conte thérapeutique dédié aux enfants des victimes »

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Marie-Christine Gryson-Dejehansart

Psychologue Clinicienne, Expert Judiciaire (1989-2015)

Michel Gasteau

« Diesel et les attentats de Paris » Conte thérapeutique dédié aux enfants des victimes »

23 novembre 2015
Un conte élaboré par un groupe d’enfants traumatisés –avec la méthode du conte créatif– à propos des attentats de Paris du 13 novembre 2015. En résumé :

C’est Diésel la chienne de combat tombée sous les balles des terroristes de la peuplade des Foutoiriste-barbaritus, qui en est l’héroïne car elle devient un chien magique. Grâce aux bougies, aux couleurs du drapeau, à la Marseille et aux fleurs, elle emmènera toutes les victimes sur une autre galaxie dans la fusée COP 22 pour préparer une autre planète destinée à recevoir les terriens qui devront bientôt déménager du fait de la pollution et du réchauffement climatique. etc.

Le Conte est interactif il doit être encore détaillé et prolongé et il fera l’objet d’une publication au bénéfice des enfants des victimes.

La fiction pour ne plus subir ni se soumettre.

L’écrivain Laurent Mauvignier et le psychiatre Boris Cyrulnik ont énoncé les mêmes arguments à la Grande Librairie sur France 5 moins d’une semaine après les effroyables attentats du 13 Novembre à Paris, en évoquant le recours à l’espace imaginaire « pour ne plus subir ni se soumettre ». Être libre et debout, c’est pouvoir inventer d’autres mondes. La fiction c’est le diable pour les djihadistes terroristes qui n’ont qu’une seule lecture du monde car ils ne peuvent imaginer qu’il en existe d’autres que le leur. Le fait de lire de la fiction est donc non seulement un acte consolateur mais c’est aussi un acte de résistance, tel a été le discours partagé par les auteurs réunis autour de François Busnel ce jeudi 19 novembre 2015.

Le psychothérapeute a compris depuis longtemps que le monde de la fiction est un puissant facteur de résilience car il a sauvé de l’effondrement psychique nombre de personnes anonymes ou célèbres. Michel del Castillo ne proclame t-il pas avoir été sauvé par sa lecture des « Mille et une nuit » quand il s’est retrouvé enfermé dans des camps de réfugiés à l’époque du franquisme. Le conte est en soi le meilleur réservoir de résilience qu’ait trouvé l’être humain pour aider ses petits à se construire et à installer des ancrages de sécurité dans un espace fictionnel aussi appelé par Winnicott, espace transitionnel agissant à la manière d’un d’airbag de protection qui amortit les coups de la destinée. Le conte aura prédisposé l’existence de solutions dans une action, même si elle n’est pas transposable à l’évidence dans le réel. Bettelheim et bien d’autres psychothérapeutes en sont convaincus. C’est toute l’énergie de l’action endorphinique luttant victorieusement contre les méchants qui s’y inscrit et qui permet de dépasser le blocage par dissolution du moi pensant. Et quand Laurent Mauvignier précise qu’il y a aussi des ogres dans les contes comme dans la réalité actuelle, chacun comprend intuitivement ou par expérience, que cela crée les ancrages qui formeront la trame d’une réactivation psychodynamique s’opposant efficacement à la sidération et à la peur.

Fort opportunément, un formidable dessin animé sort dans les salles cette semaine, il s’agit du « Voyage d’Arlo » qui est, pour le journaliste qui l’évoque ce jour sur France Info, un coup de cœur de tendresse et d’humour. C’est l’histoire d’un petit dinosaure dont le voyage initiatique est raconté avec la féérie Disney et où sont évoqués le deuil, l’écologie, la planète etc. Il encourage très justement petits et grands à aller le voir en ces temps si douloureux car il fera un bien immense à tout le monde.

Les Psys et les attentats de Paris.

Tous les psys ont été mobilisés par les événements à titre personnel et professionnel. Ils ont été très sollicités tant dans les médias que sur le terrain. Des conseils très judicieux ont été donnés. Les parents ont focalisé sur leurs enfants souvent très perturbés, une demande d’aide auprès des psys, ayant puisé pour eux-même un réconfort dans la réactivation de la solidarité, de l’amour et du sentiment d’appartenance. Leur impuissance face aux troubles réactionnels de leurs enfants ont provoqué de nombreuses consultations seuls ou accompagnés. Que faire pour aider les enfants traumatisés, immergés dans une angoisse majeure qui les empêchent de dormir, de sortir, voire de respirer normalement pour les plus atteints, tant la mort leur semble imminente ?On nous amène de nombreux enfants envahis par les images des attentats sans cesse présentifiés, des enfants agressés par le choc des récits et des allusions à la guerre dont l’ennemi occupe un espace sans aucune limite. Les monstres peuvent surgir de partout nous disent-ils, ils peuvent venir jusque dans leur chambre mais aussi à l’école, dans les rues, dans les cafés, en vacances. Les enfants savent que leurs parents ne peuvent rien face à ces monstres qui adorent la mort et qui ne peuvent plus être contrôlés comme dans les jeux vidéos.

En tant que psychologue ayant pris en charge dans le cadre des expertises judiciaires et en cabinet libéral un très grand nombre d’enfants ayant subi les traumatismes les plus extrêmes, j’ai eu à mettre en place des modalités thérapeutique d’urgence. Et comme à chaque fois qu’un événement dramatique crée un lien objectif entre eux, un groupe d’enfants choqués a donc été réuni pour participer ensemble à la création d’un conte thérapeutique. Je propose ici sur ce blog de Médiapart, la lecture de ce conte thérapeutique effectué la veille avec un groupe d’enfants de 5 à 9 ans suite aux évènements et dont le partage avec d’autres fait partie intégrante de la thérapie. L’effet de groupe est renforçateur de la créativité et de la réassurance réciproque. Le conte a été élaboré selon les modalités du Conte créatif dont la méthodologie a été construite au départ pour et avec des enfants victimes de viols et qui peut s’appliquer à tous les autres psycho-traumatismes.

La modélisation de ce conte intitulé « Diésel et les attentats de Paris » donne juste une trame qui laisse toute la place à une utilisation qui pourra être agrémentée tant dans les descriptions que pour les anecdotes ce qui permettra à chaque enfant de se sentir partie prenante dans ce groupe d’appartenance et de contrôler lui-même sa peur par sa propre créativité.Qui est Diésel ? Le chien du RAID tué lors de l’assaut de Saint Denis. On le sait l’animal et le chien en particulier, a en soi une valeur de sécurité transitionnelle de par les projections que l’enfant lui transfère dans sa propre expérience et dans celle des contes lus et vus et dont ils sont toujours les héros. La présence d’un chien renifleur dénommé Diesel qui devait détecter les explosifs lors de l’assaut de l’appartement où s’étaient retranchés les terroristes a été repérée par quelques enfants du groupe qui ont évoqué sa mort avec tristesse. Diésel a vite été choisie pour être le personnage principal que l’on va suivre et dont les actions seront autant d’activation de l’espace de résilience. Il s’agira pour le thérapeute de cadrer de manière interactive les propositions des enfants avec les balises thérapeutiques du Conte créatif.

Conte thérapeutique à partager et à continuer : « Diésel et les attentats de Paris »

« Il était une fois un chien malinois qui était une chienne très belle et qui s’appelait Diésel. Elle était surtout très maligne et son flair était le plus fantastique de la planète. Déjà quand elle était petite elle savait repérer à des kilomètres les poisons pour les rats et elle prévenait tous les chats des voisins de ne pas toucher aux appâts dans les jardins. Bien vite elle décida d’entrer dans la police pour renifler les poudres des explosifs et les signaler à ses capitaines. Ses parents lui avaient dit que cette profession était bien dangereuse mais elle leur avait répondu qu’elle était très courageuse. Elle est donc rentrée à l’école de police. Elle a appris à faire la guerre avec son maitre de chien et sa mission était de repérer les explosifs pour ne pas que les policiers du RAID se fassent tuer. Un jour elle a appris qu’il y avait des affreux méchants qui posaient des bombes et qui tuaient les gens, c’était des sortes d’ogres noirs de la peuplade des foutoiristes-barbaritus. Ils sont même venus faire des attentats à Paris et tout le monde avait très peur, car ils ont tué beaucoup de personnes sur les terrasses et dans le Bataclan. Ils étaient tellement fous que des fois, ils se tuaient eux mêmes. Quand Diésel est arrivée elle a compris qu’il fallait absolument retrouver les chefs qui s’étaient échappés et s’étaient réfugiés dans une maison.Diésel est entrée courageusement pour renifler les explosifs et prévenir en aboyant, mais elle a été touchée par plein de balles et elle est morte. Mais pas vraiment… car ce que les foutoiristes-barbaricus ne savaient pas, c’est que Diésel était devenue un chien magique et que les balles des kalachnikovs transformaient sa mission de sauver les personnes pour une plus grande encore. Tous les chiens morts au combat deviennent des chiens magiques c’est comme ça. Ce qu’ils ne savaient pas non plus, parce que qu’il étaient encore plus bêtes que méchants, et c’est pas peu dire, c’est que tous les gens qu’ils avaient tués, devenaient aussi un peu magiques grâce à la lumière des bougies et grâce à toutes les fleurs déposées là où ils étaient tombés.

Diésel qui était la plus magique de tous est celle qui avait la vraie grande mission pour tous les gens de notre planète. Diesel était arrivée avec les premières victimes de l’attentat d’abord sur la lune, qui était une base de repli pour attendre que tout le monde soit là. Il y avait déjà les chiens morts au combat et devenus des chiens magiques et tous les gens de Charlie et des attentats d’avant. Elle a dit à toutes les victimes parce qu’elle pouvait parler à présent : « Nous avons quitté cette planète pour une grand mission : c’est d’aller sur une autre planète dans une autre galaxie pour préparer l’arrivée des terriens parce qu’a cause du réchauffement du climat qui se détraque et de la pollution qui sabote tout, il va falloir que tout le monde déménage un jour ». Pour y aller sur cette nouvelle planète, Diésel leur a dit qu’à chaque fois qu’une capitale du monde ou un stade de foot ou un monument s’allume en bleu blanc rouge et que la Marseillaise est chantée, toutes les victimes pourront récolter une partie d’une fusée qui va se construire un peu à la fois pour le grand départ dans une autre galaxie.

Et en effet une fusée qu’ils ont appelée COP 22 a commencé à apparaître par la force de la pensée et de l’amour de tous. Elle ressemblait à celle de Tintin sur la lune mais elle n’était pas rouge et blanc, elle était bleu blanc rouge et dessus ils avaient marqué « Liberté Égalité Fraternité. » La fusée COP 22 a été bientôt prête. Et quand tout a été fini ils sont partis et maintenant on peut être tranquille on a aura pour plus tard une autre planète et là, il n’y aura plus aucun méchant ni aucune guerre. Les foutoiristes-barbaricus ne peuvent pas y aller, ils ne savent pas construire les fusées et de toutes les façons ils sont presque tous morts. La fusée est enfin arrivée sur la nouvelle planète qui est magnifique. Et Diésel qui avait remarqué un très beau berger allemand parmi les chiens magiques est parti le retrouver pour vivre ensemble, heureux pour l’éternité ».

A l’issue de cette première séance les enfants ont dessiné Diésel enfant, et / ou Diésel à l’école de police, sur la lune, sur la nouvelle planète etc. Le dessin a aussi une autre dimension symbolique que chacun peut se ré-approprier et montrer aux autres. Il est renforçateur d’identité et d’intégration de la création qui alimente l’espace transitionnel. On a noté comme à chaque expérience la présence d’une sorte d’euphorie partagée et un possible retour à la joie de vivre, en lien direct avec le soulagement libératoire des tensions et de l’angoisse.A la séance suivante, chaque partie pourra être détaillée et l’écriture harmonisée pour une possible publication au bénéfice des enfants des victimes. Ce conte leur est dédié.

Les enfants à qui sera proposé ce conte pourront également détailler chacune des parties et dessiner… leurs dessins pourront être envoyés aux enfants qui ont créé les aventures de Diésel, au Cabinet de Psychologie.

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Carole Damiani, directrice de Paris Aide Aux Victimes

Logo-SciencesPoCarole Damiani, directrice de Paris Aide Aux Victimes : « Avec le Secrétariat d’État chargé de l’Aide aux Victimes des attentats du 13 novembre, notre collaboration est constante »
19 avril 2016

Carole Damiani, docteur en psychologie, préside l’association Paris Aide aux Victimes (PAV 75) depuis 1990. Le soir des attentats du 13 novembre 2015, le procureur de Paris François Molins saisit immédiatement l’équipe de PAV 75. Leur rôle : apporter un soutien psychologique auprès des victimes et de leurs proches, puis en assurer le suivi. L’association accorde une attention particulière aux personnes ayant perdu un proche lors de ces attaques terroristes. Rencontre et discussion en 6 temps.

1. A PROPOS DU SUIVI PSY DES PERSONNES ENDEUILLÉES

A quel moment l’association Paris Aide aux Victimes commence-t-elle à réfléchir au suivi des proches de victimes, endeuillés suite aux attentats du 13-Novembre ?

Carole Damiani : On s’est tout de suite réunis, dès que l’on a été saisi par le procureur François Molins, pour organiser, entre autres, le dispositif d’accompagnement des personnes endeuillées. On a commencé à avoir des appels dès le lendemain. La demande première concernait des proches, en recherche de quelqu’un qu’ils connaissaient : « On n’a pas de nouvelles, on ne sait pas où ils sont ». On a mis en place une permanence à École Militaire, pour recevoir ces personnes. Les premières réponses que l’on a faites au téléphone, c’était à des questions comme « Je dois annoncer à mon fils de quatre ans qu’il n’aura plus son papa, ou qu’il n’aura plus sa maman, comment je dois lui dire ? »

Qu’est-ce qu’implique le suivi d’une personne ayant perdu un proche dans des circonstances aussi violentes ?

C.D : Le choc est très violent. Une mort violente, ce n’est pas une mort que l’on attend, cela ne respecte pas l’ordre des générations. Ce que l’on va faire avec les personnes, c’est d’abord les aider à aborder ce choc. L’annonce de la mort, c’est quelque chose sur lequel on doit travailler, qui a des incidences sur le suivi. Après le 13-Novembre, l’on s’est aperçu qu’il y a eu des difficultés pour le dire aux proches de victimes. Il faut essayer de voir si la personne est en train de faire un deuil « normal », malgré les difficultés, ou si le processus va être plus compliqué. A partir de là, un suivi plus ou moins long est mis en place, en fonction des besoins.

2. LA MISE EN PLACE DU SOUTIEN PSY : UNE ENTREPRISE COMPLEXE

Vous évoquez des difficultés lors de certaines annonces. Celles-ci ont notamment été évoquées lors de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale, en lien avec les actions de lutte antiterroriste menées par l’État depuis le 7 janvier 2015. Pouvez-vous m’en dire plus ?

C.D : Il y avait beaucoup de personnes. Généralement, la police établit avec le parquet la liste des personnes décédées, blessées, impliquées. Ils ne donnent ces éléments que lorsqu’ils ont une certitude. Dans cette situation, vu le nombre d’hôpitaux impliqués, difficile d’avoir des certitudes rapidement. Il y a des familles qui ont eu des informations contradictoires. L’un disant « Oui on sait », rappelait un peu après pour corriger : « On n’est pas sûr ». La liste définitive a été difficile et longue à établir.

Cela ajoutait un coup supplémentaire à leur douleur…

C.D : Effectivement. Quand on ne sait pas, c’est pire que tout. Il y a des gens qui ont cherché par eux-mêmes dans les hôpitaux. Ils n’arrivaient pas à obtenir d’informations sûres et certaines via le numéro d’urgence. Ils ont donc essayé de les obtenir par eux-mêmes.

3. PERDRE UN PROCHE LORS DES ATTENTATS : UN DEUIL TRAUMATIQUE

La notion de « deuil » est souvent reprise à toutes les sauces dans les médias. Pouvez-vous nous en donner votre définition de psychologue ?

C.D : Il faut déjà différencier ce qui est de l’ordre du traumatisme et de l’ordre du deuil. Le deuil, c’est lorsque l’on a perdu quelqu’un. Le traumatisme, c’est lorsque l’on a subi un événement, tel que les attentats du 13-Novembre. Des personnes se trouvent dans les deux positions. Ils ont vécu un événement très grave, traumatisant, et en plus, ils sont en deuil. Lorsque le deuil se déroule normalement, la personne se centre sur le disparu, va ressentir de la tristesse, avoir des comportements de recherche. Cela s’atténue progressivement, le temps que les cycles de la vie se remettent en place. Il y a un travail de deuil qui se met en place. Dans ces circonstances, l’on va parfois parler de deuil traumatogène, ou traumatique. En raison de la situation, une perte liée à un attentat par exemple, cela va être beaucoup plus compliqué que de perdre un aïeul très âgé, gravement malade depuis des années.

Cela implique un travail long. Comment Paris Aide aux Victimes va-t-il pouvoir être présent sur la longue durée ?

C.D : Nous avons des moyens qui nous permettent de faire un suivi des personnes pendant le temps de la procédure pénale liée à ces attentats. Dans cette situation, étant donné la massivité du nombre de personnes que nous avons reçues, des moyens complémentaires nous ont été donnés. J’ai pu doubler l’équipe.

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