Après les attentats – Mohamed Abdeslam : « Je me réveille la nuit pour voir si Salah est dans son lit »

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Après les attentats – Mohamed Abdeslam : « Je me réveille la nuit pour voir si Salah est dans son lit »
Propos recueillis par , publié le

Quatre semaines après les attentats de Paris, le frère de deux membres du groupe terroriste a accepté de répondre aux questions de L’Express. Il décrit ses longues journées à attendre un signe de vie de Salah, toujours en fuite, et évoque l’avenir.

Depuis les attentats de Paris, l’appartement molenbeekois des Abdeslam ne compte plus qu’un seul homme : Mohamed. Il est le frère cadet de Brahim, le kamikaze qui s’est fait exploser au comptoir Voltaire après avoir mitraillé plusieurs terrasses et de Salah, activement recherché et suspecté d’avoir joué au moins un rôle logistique dans la tuerie. Mohamed vit désormais avec sa sœur et sa mère, l’aîné de la fratrie et le père ayant leurs propres domiciles.

Quatre semaines jour pour jour après les attaques, le jeune homme de 29 ans se dit « toujours très mal », « vidé ». Il raconte son quotidien de « frère de terroristes ».

Dans quel état d’esprit êtes-vous, un mois après les attentats ?

Mohamed Abdeslam : Il y a un peu moins de pression. On commence doucement à respirer. Je ressens toujours de la tristesse parce que j’aime mes frères, mais aussi de la colère à cause de ce qu’ils ont fait et parce que Salah n’a pas écouté mes appels à se rendre.
Je suis toujours en arrêt maladie et dois voir prochainement mon médecin pour une éventuelle prolongation. Un journal belge a affirmé, sans m’interroger, que j’étais en dépression. Ce n’est pas vrai. Je suis toujours vidé, toujours très mal mais je dois garder la tête haute pour que ma famille et moi puissions commencer à nous reconstruire. Nous n’avons pas voulu ce qu’il s’est passé et devons continuer à vivre.

A quoi ressemblent vos journées ?

Elles sont très longues. Je sors peu. De temps en temps, j’essaye de voir des connaissances pour savoir si elles n’ont pas eu des nouvelles de Salah. Je vais aussi beaucoup sur les réseaux sociaux pour scruter les rumeurs, regarder s’il ne m’a pas laissé un message. Toute la journée, j’attends un signe. Parfois, j’ai l’impression d’être en prison.
A la maison, il est difficile d’avoir d’autres sujets de conversation. J’ai aussi beaucoup de mal à dormir. Il m’arrive même de rêver de mes frères. Je me réveille parfois et je vérifie si Salah est dans son lit [Ils partagent la même chambre, NDLR]. Quand je vois qu’il n’est pas là, c’est dur.

Selon vous, Salah est-il parvenu à regagner la Syrie ?

Beaucoup de gens le pensent. Moi, je me pose encore la question. Il faut quand même avoir une sacrée logistique et beaucoup de chance pour réussir à quitter l’Europe ! Je préfère penser qu’il est encore en Belgique. Mais je pourrais dire tout autre chose dans quelques jours.
Quatre semaines, cela commence à faire long et mon frère n’avait pas de ressources pour organiser sa cavale. Et s’il était mort ? L’hypothèse m’a traversé l’esprit. Nous n’avons jamais eu la preuve qu’il était encore vivant. A-t-il été exécuté ? Qui sait ?

Avec le recul, il n’y a rien qui vous a marqué dans le comportement de vos frères ?

On n’a rien vu, contrairement à ce que beaucoup de gens croient. Ni moi, ni ma famille, ni leurs amis, qui les côtoyaient jour et nuit.

Même pas des choses qui ont pu vous paraître anodines à l’époque et qui résonnent aujourd’hui ?

Les derniers jours, Brahim, plutôt impulsif et nerveux, était devenu plus sage et réfléchi. D’habitude, quand quelque chose ne lui plaisait pas, il n’hésitait pas à le dire. Là, c’était un peu comme s’il ne voulait plus se fâcher. Concernant Salah, vous allez trouver ça bête mais ce n’est pas quelqu’un du genre à ranger sa chambre. Il est très propre mais un peu fainéant. Une semaine avant les attentats, je l’ai croisé à 6 heures du matin, quand je partais au travail, en train d’astiquer le salon. Il faisait le ménage à fond et m’a dit : « Maman est fatiguée en ce moment, il faut l’aider. » Ce n’était pas dans ses habitudes.

Le regard des gens a-t-il changé dans la rue ?

Je suis le frère d’un terroriste mais pas un terroriste. Je ne compte pas quitter Molenbeek. Les regards ne sont pas inquiets quand je sors, mais certaines personnes m’ont tourné le dos : des amis, des collègues… Je reçois parfois des réflexions méchantes du style : « Un frère, ça va marcher forcément sur les pas de ses frères. » Ceux qui disent ça sont des idiots. Il y aussi des gens qui viennent me parler de théories du complot, m’expliquant que les États-Unis ou la France sont derrière tout ça, mais je ne suis pas influençable. Cela ne m’intéresse pas.

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Attentats : réduire les séquelles psychiques

Attentats : réduire les séquelles psychiques
23.11.2015
Par Pascale Santi et Sandrine Cabut
Pour les survivants et les témoins, une prise en charge précoce et une vigilance maintenue sont nécessaires pour faire face aux risques psychologiques engendrés par le traumatisme.

Comment prendre en charge les blessures psychiques des milliers de personnes endeuillées, blessées, ou témoins des attentats du vendredi 13 novembre, à Saint-Denis et à Paris  ? Les mairies, associations de victimes d’attentats, services de santé mentale… se sont mis en ordre de marche pour assurer un soutien psychologique en urgence. Des numéros de crise ont été ouverts, notamment le 0 800 40 60 05.

L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) a ainsi déployé un triple dispositif d’une ampleur inédite pour assurer une aide psychologique à son personnel, tandis que des entreprises et leurs mutuelles proposaient aussi une assistance. Objectif de cette mobilisation générale  : apaiser le choc et si possible prévenir les séquelles psychiques, dont l’état de stress post-traumatique (ESPT) est le plus emblématique.

Comment se manifeste l’état de stress post-traumatique ?

Les symptômes, nombreux, peuvent être divisés en trois catégories. Il s’agit de reviviscences répétées de l’événement traumatisant, avec flash-backs et cauchemars. S’y associent des symptômes d’évitement  : maintien à distance des situations et des lieux pouvant rappeler le traumatisme, «  anesthésie  » psychique avec perte d’intérêt pour les activités auparavant appréciées.

Le troisième type de signes cliniques correspond à une hypertonie neurovégétative avec état de tension permanent, anxiété, insomnie… « Formellement, le diagnostic d’ESPT ne peut être porté que lorsque les symptômes durent depuis un mois, mais si une personne a des troubles intenses dans les premières semaines, il ne faut pas attendre que le syndrome soit constitué pour la prendre en charge, avec une psychothérapie adaptée et éventuellement des médicaments », souligne le professeur Philippe Birmes, du laboratoire du stress traumatique de Toulouse.

En pratique, les symptômes peuvent se déclarer des mois, voire des années après le traumatisme, réactivés alors par un autre événement traumatisant. L’ESPT est souvent associé à d’autres troubles neuropsychologiques, en particulier la dépression (présente chez un patient sur deux) et des addictions. « De même, le risque de comportement suicidaire peut être majoré. Le pessimisme ambiant peut peser sur les personnes fragiles  », constate le professeur Louis Jehel (Centre hospitalier universitaire de Martinique), qui a créé en 2001 le premier service de psychotraumatologie à l’hôpital Tenon (APHP).

«  Une attention particulière doit être portée aux personnes les plus à risque, comme celles qui ont vécu un traumatisme (violences sexuelles, maltraitance infantile, deuil, accident…)  », ajoute le docteur Gérard Lopez, président de l’Institut de victimologie, fondé en 1994. Mais pas seulement. « L’événement traumatique peut entrer en résonance avec un conflit psychique » (relation difficile dans la petite enfance), explique le docteur Sarah Bydlowski, directrice adjointe du département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’Association de santé mentale (ASM) du 13e arrondissement de Paris. « Tout appel, toute demande doit être considérée comme plus urgente que d’ordinaire. »

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