Attentats de Paris : comment soigner le traumatisme psychologique ?

Logo-RFIPar Clément Robin
Publié le 21-12-2015
130 morts, 352 blessés. Les attentats de Paris du 13 novembre sont les plus sanglants de l’histoire contemporaine en France. Un drame aussi psychologique pour beaucoup de victimes directes ou indirectes, qui doivent désormais vivre avec un traumatisme difficile, voire impossible à effacer. En France, une association accompagne ces victimes pour les aider à se reconstruire malgré tout.

Depuis 2009, l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) accompagne et soutient les victimes d’attentats en France et à l’étranger. Depuis le 13 novembre, des dizaines voire des centaines de personnes contactent quasi quotidiennement la structure, près de 200, dont environ 150 ont déjà rencontré des membres de l’association, précise Stéphane Lacombe, directeur adjoint de l’AFVT. Certains ont été blessés, d’autres ont perdu des proches ou ont simplement été témoins des scènes d’horreur, dans la salle de concert du Bataclan, sur des terrasses de cafés du Xe et du XIe arrondissement, ou au Stade de France.

Tous sont en tout cas très touchés, de près ou de loin, par un choc profond qui peut dans certains cas être assimilé à un syndrome de stress post-traumatique. Il peut survenir plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs mois après l’attentat. Tout dépend des personnes.

Un avant, un après

« Beaucoup appellent déjà pour savoir ce qu’est le syndrome post-traumatique, explique Asma Guenifi, psychologue et clinicienne de l’association. Ils veulent savoir s’ils souffrent de ça et quels sont les symptômes. Notre rôle, c’est de travailler d’abord par l’écoute », pour comprendre s’il y a traumatisme ou non. « Beaucoup parlent de peur, d’angoisse, certains parlent de troubles du sommeil, de perte d’appétit, de perte de plaisir de tout faire. » Certains, explique la psychologue, évoquent un changement radical. « Ils ne se reconnaissent plus depuis le vendredi 13 novembre. […] Il y a un avant et un après ». D’autres ont carrément perdu leurs repères. « Ils n’arrivent plus à savoir ce qu’ils ont vécu, ce qui est réel et ce qui est fantasmé ou imaginaire. »

D’autres parlent des scènes d’horreur qui viennent hanter leurs esprits, « des corps explosés, déchiquetés, des femmes ou des hommes blessés… » Des images très fortes « qui viennent les interrompre à chaque moment de leur vie », sans forcément comprendre pourquoi. Au point de se demander « s’ils vont devenir fous », explique la psychologue. La peur s’invite jusque dans leur quotidien, avec souvent pour conséquence la crainte de prendre les transports en commun ou la peur du bruit, qui peuvent mener à des phobies handicapantes.

Pour guérir d’un tel traumatisme, « il ne faut surtout pas céder à la panique », prévient Asma Guenifi. Pour elle, il est tout à fait humain d’avoir peur de prendre le métro après les attentats du 13 novembre. Pour autant, même s’il n’y a pas de mal à rester vigilant, « il faut continuer à vivre », dit-elle, rappelant que d’autres pays sont toujours en guerre et confrontés presque quotidiennement à des attentats. « Être vigilant ne veut pas dire céder à sa panique et se renfermer. Là, ça devient pathologique. »

Traumatisme collectif

La particularité des attentats de Paris, c’est en tout cas qu’ils ont entraîné un traumatisme collectif. Du fait par exemple, que dans la salle de concert du Bataclan, tout le monde ait vécu la même attaque. Mais pas seulement. Stéphane Lacombe rappelle que ces événements ont été vécus non seulement par les personnes qui étaient sur place, mais aussi par ceux qui en étaient proches. Des personnes « qui se trouvaient géographiquement en retrait, mais qui ont tout vu, tout entendu ».

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Après les attentats de novembre, les services psy saturés de victimes qui « pensaient aller bien »

17 décembre 2015Logo Le Monde
Par
 Manon Rescan

Jusqu’à présent, Fabrice (le prénom a été changé) n’avait pas eu envie de revenir à Paris. Reprendre le TGV en gare de Marseille-Saint-Charles, comme ce vendredi 13 novembre au soir où il avait rendez-vous au Bataclan. Monter dans le métro. Affronter ces lieux où il a vécu l’indicible. Les tirs, l’angoisse, le sang et la mort. Presque un mois après les attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis, il l’a finalement fait : il est venu porter plainte au 36, quai des Orfèvres. Puis il s’est rendu à la cellule d’urgence médico-psychologique de l’Hôtel-Dieu pour obtenir une évaluation du préjudice moral subi, lui qui a évité de peu la blessure : la balle n’a fait qu’effleurer son bras.

Depuis, comme un certain nombre de victimes, il pensait que ça allait. Et puis finalement non, ça n’allait pas. Un contrecoup « classique après un tel traumatisme », observe Nicolas Dantchev, responsable du service de psychiatrie de l’Hôtel-Dieu, qui accueille un centre de consultation médico-psychologique d’urgence pour les victimes des attentats de Paris.

Troubles différés

« Certains reprennent leur vie comme avant, retournent au travail, et puis les symptômes de traumatisme – flash-back, troubles du sommeil, scènes choquantes qui tournent en boucle – apparaissent plus tard. On parle alors de troubles différés ». Ces signaux peuvent apparaître jusqu’à trois mois après le choc. Pour Fabrice, cela se soldera par trente jours d’arrêt de travail.

C’est ainsi que les consultations n’ont pas cessé à l’Hôtel-Dieu, depuis le 13 novembre. Elles ont diminué, bien sûr, loin des quatre-vingts rendez-vous des premiers jours. Mais, quotidiennement, les psychiatres reçoivent encore entre dix et quinze nouveaux patients. Et, chaque jour, « on en voit dont c’est la première consultation psychologique », poursuit Nicolas Dantchev.

« Il y a plusieurs profils de personnes que l’on reçoit pour la première fois », explique Thierry Baubet, responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de Seine-Saint-Denis (93). Outre les témoins de scènes de fusillades, ou arrivés sur place peu après, atteints de troubles différés, « il y a des blessés, ou les proches de personnes décédées, qui ont été occupés à d’autres choses depuis les attaques… », énumère-t-il.

Évitement

Mais il y a aussi ceux qui ne sont pas allés consulter tout de suite, non pas parce que « ça allait », mais parce qu’ils étaient déjà très atteints, sans forcément le savoir. « Ces personnes ont tout fait depuis les attentats pour éviter d’évoquer les événements traumatisants », explique le médecin.

« C’est ce que l’on appelle l’évitement », détaille M. Dantchev. Les victimes désertent alors les lieux publics très fréquentés comme les transports en commun, ou les lieux qui leur rappellent les traumatismes, territoires où elles se sentent oppressées. « Pour certains, cela devient invalidant au point de ne plus pouvoir sortir de chez eux », explique le psychiatre.

Pour ceux-là, une simple séance de débriefing psychologique ne suffira pas à apaiser les troubles. « Lorsque les symptômes persistent, il faut une vraie prise en charge », note M. Dantchev, qui évoque un suivi du patient dans la durée, comprenant une psychothérapie et, parfois, un traitement médicamenteux.

Ces patients sont d’habitude orientés vers des services de psychiatrie spécialisés en psychotraumatologie. « Le problème, c’est que, en Ile-de-France, toutes les structures sont débordées et saturées, s’inquiète Nicolas Dantchev. En temps normal, on a déjà du mal à trouver des consultations pour les victimes de viols ou de violences, qui ont besoin de ce genre de soin. Dans le contexte actuel, c’est encore plus compliqué. »

Renforcer l’aide

A Paris, l’Hôtel-Dieu comme l’hôpital Tenon (spécialisé en psychotraumatologie) ne sont ainsi plus en mesure d’accueillir de nouveaux patients pour un suivi de longue durée. Ces derniers sont alors orientés vers des psychiatres moins spécialisés. « Des services ont ouvert des consultations supplémentaires, mais ça n’est pas suffisant », poursuit le médecin.

Selon Thierry Baubet, qui a bâti sa consultation en psychotraumatologie à Bobigny « sans moyens publics supplémentaires », « il faut que les pouvoirs publics se posent la question de renforcer l’aide » dans ce domaine de la psychiatrie, « et pas uniquement dans Paris intra-muros », plaide-t-il. Car, d’après M. Dantchev, la demande de soins psychotraumatologiques n’est pas uniquement conjoncturelle. « On voit qu’elle augmente depuis quelques années, mais avec ces attentats, ça va exploser. »

De son côté, la Direction générale de la santé précise que ces questions seront abordées dans le cadre des « retours d’expérience » sur la mise en place du dispositif de prise en charge des victimes des attentats, dont elle promet que « les résultats, attendus mi-janvier, permettront son amélioration ».

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