Attentats à Paris : un survivant du Bataclan témoigne

Logo-RFIPar Thomas Bourdeau
Publié le 20-11-2015
François

Une balle a traversé son corps, une amie proche y a laissé sa vie, François était au Bataclan le 13 novembre 2015. Il a survécu. Cet homme de 27 ans raconte les événements tragiques qui auraient pu lui coûter la vie dans la salle de concert. Récit de cette soirée glaciale et sombre, à lire en intégralité.

« Le chanteur faisait rire un public très motivé par le show »

« J’ai trouvé des places à la dernière minute pour les Eagles of Death Metal au Bataclan. A 20h, j’ai foncé du boulot. En chemin, une amie m’envoie un texto, elle y va aussi, on se retrouvera là-bas. Content, je rentre dans la salle. Le bar est bondé, je prendrai une bière plus tard. Je prends place tout devant à droite, mon amie me « textote », elle est à gauche, je tente de la rejoindre vers la zone qui, plus tard, se révèlera proche d’une issue de secours. Heureusement… [il soupire] Le concert commence. Au bout de deux chansons, je retrouve mon amie, mais avec les pogos, on se perd à nouveau. L’ambiance très rock’n roll était super, le chanteur faisait rire le public très motivé par ce show presque à l’américaine.

« Un abruti qui pétarade. Non, c’est un tireur »

« Quelques secondes après le début d’une nouvelle chanson, on entend des pétards comme des coups de feu. Une mise en scène, un problème de sono, un abruti qui pétarade, je ne sais pas et ne me retourne pas pendant à peu près cinq secondes. Quand le groupe s’en va, je trouve ça bizarre. Tout le monde se retourne et on voit quelqu’un tirer sur les balcons. Il est juste à côté du bar à l’entrée. Il tire maintenant sur les côtés. Je me couche et je me dis c’est un tireur, mais peut-être juste un fou comme il y a eu à Libération. J’espère que c’est ça. Juste un fou qui vient marquer le coup, et qui partira après. Allez, on se couche, on attend que ça passe. Pendant quelques minutes je me demande si je ne serais pas plus en sécurité à faire le mort… »

« Ma tête face au sol, je reçois une balle »

« Il y a eu une petite accalmie. Un court moment presque rassurant, sans coup de feu. Mais tout de suite après, je me retourne et je le vois : le tireur recharge son arme et tire dans ma direction. Ma tête face au sol, je reçois une balle. Comme un coup de fouet dans le dos, en une fraction de seconde ; je suis soufflé. Je touche mon cou, je regarde ma main, c’est du sang. C’est sérieux. Puis je me dis qu’avec tous ses chargeurs, il va buter tout le monde. Il faut foncer. A ce moment, je pensais toujours qu’il était seul. A 10 mètres de moi, je vois des gens qui commencent à sortir à gauche de la scène. La sortie est dans ma ligne de mire, je fonce, je vois des personnes déjà touchées au ventre, aux jambes, des personnes qui ne bougent plus, à l’agonie, qui crient. Du sang est déjà répandu un peu partout au sol. »

« Je me suis demandé si j’allais mourir »

« En rampant, j’avance petit à petit. Personne n’ose se mettre debout, tout le monde rampe. A mi-chemin, j’entends un coup de feu à ma gauche, juste à côté. Un autre tireur est à deux ou trois mètres de moi, c’est lui qui vient de tirer. Mon oreille siffle. Pour éviter les acouphènes, je rentre ma tête et me bouche les oreilles. Je reste baissé pendant une trentaine de secondes. Je n’entends plus de coups de feu, je me dis qu’en étant aussi proche de moi, il peut m’avoir à bout portant. Il peut me tuer. Il faut que je continue à avancer. Pour atteindre la sortie, il faut descendre à peu près cinq marches. Là, c’est le pire. C’est l’horreur. C’est l’endroit où tout le monde s’agglutine, où les gens se font étouffer. On est comme dans un entonnoir. Des gens me piétinent. J’ai quelqu’un en-dessous de moi qui pousse et au-dessus de moi un corps m’écrase. Pendant deux ou trois minutes, je suis resté bloqué sans pouvoir respirer. Je me suis demandé si j’allais mourir étouffé. »

« Mais putain, ouvrez cette porte ! »

« A ce moment, je me force à penser : chacun pour soi. La sortie : je la vois, je vois dehors, je vois la rue. Elle est à cinq mètres de moi. Il faut forcer, il faut pousser. J’avance. Des gens en tirent d’autres pour tenter de les faire sortir côté rue. Quand finalement je parviens à sortir ma tête pour m’extraire de l’amas de corps, je suis toujours condamné par des gens qui me retiennent derrière. Ils sont sur mes jambes et m’empêchent d’avancer. Je finis par me relever et sortir du tas. Je ne vois plus personne devant, peut-être que les personnes qui aidaient les autres dans la rue sont parties. Les gens sur ma gauche crient : « Mais putain, ouvrez cette porte ! » La porte devant laquelle je suis est ouverte, l’autre à gauche s’est refermée. Mais quelqu’un finit par l’ouvrir. En rampant toujours, j’arrive finalement à m’échapper. Dans la rue, je reprends ma respiration, je regarde à droite, à gauche. La majorité part vers la droite. L’autre côté donne sur l’entrée principale du Bataclan. Je me dis que ce n’est pas le moment de faire le fou et je décide de suivre les autres. Je rase les murs en courant. Je sentais que j’étais blessé mais ça allait, avec l’adrénaline, l’instinct de survie, je ne sentais pas de douleur, sauf dans mon cou. J’ai mis ma capuche dessus et j’ai continué à avancer. »

« J’ai senti le trou de la balle qui était passée par mon cou »

« Arrivé dans le passage, je vois quelqu’un qui garde une porte ouverte au pied d’un immeuble. La plupart des survivants s’y réfugiaient. Donc, je fonce comme tout le monde. Je rentre dans la cage d’escalier, monte au premier étage. Un peu en sécurité, je m’assois. J’étais sous le choc. Avec ma main, j’ai senti le trou de la balle qui était passée par mon cou. J’ai eu peur. Je me disais que je m’étais pris deux balles. Dans le sang et la panique, je commence à appeler à l’aide : je suis touché, je suis touché ! Mais les gens s’en foutaient. Ils allaient et venaient pour se réfugier et voir ce qu’il se passait dans la rue. Depuis la cage d’escalier, j’entends : « Remontez, remontez ! Ils sont entrain de tirer, de revenir ! » J’imagine que les terroristes à cet instant étaient aux fenêtres, qu’ils tiraient dans la rue. Je remonte en vitesse d’un étage pour me mettre en sécurité dans un appartement au deuxième. J’étais dans une chambre étudiante et je me suis dit à ce moment-là : ils vont rentrer dans l’immeuble, ils vont dégommer tout le monde. J’ai demandé à la personne qui habitait là : est-ce que je peux me cacher quelque part ? Je repensais au mec qui s’était caché sous un lavabo dans l’imprimerie après Charlie Hebdo. »

« Je vois des étoiles, j’ai des fourmis dans les mains »

« En allant me réfugier dans les toilettes, je tombe sur l’amie que j’avais rencontrée au concert. Elle me raconte que son amie est restée couchée au Bataclan, qu’elle ne s’est pas relevée. Elle, a réussi à s’en sortir sans blessure. On a un peu parlé. Elle était abasourdie. Figée. Elle n’avait plus son téléphone, et moi pas le numéro de son amie. Aucun moyen de la joindre à part par internet. On a pensé à Facebook et utilisé l’ordinateur de la locataire pour se connecter et lui envoyer un message.

A ce moment, mes yeux piquent, je vois des étoiles, j’ai des fourmis dans les mains. Je m’allonge sur le lit et là quelqu’un me lance : « Fais gaffe, tu mets du sang partout sur le lit ! » Je réponds oui, on m’a tiré dessus. Les gens se retournent. On me dit : « Mets-toi par terre ». Ils ont pris un chiffon et appuyé sur le trou. On a juste appuyé très fort et on a attendu. On a fermé la porte et tenté de se calmer. Quelqu’un d’autre est blessé à la jambe. On est sept ou huit, dont une femme sans nouvelle de son enfant et de son ex-mari qui étaient dans la salle avec elle. Elle paniquait. J’avais besoin de m’allonger un peu et je me suis calmé. J’étais content d’être encore en vie. »

« En attendant, on entend tout. C’est assourdissant »

« Dans l’appartement, on téléphone pour rassurer nos proches. On entend encore des coups de fusil, des grenades qui pètent. Au bout de deux heures, des policiers arrivent pour sécuriser l’immeuble. Ils frappent à la porte. Trois policiers en tenue de protection. En voyant ma blessure, ils me rassurent mais me disent qu’il faudra rapidement m’évacuer pour être soigné. Mais pour l’évacuation, je dois attendre que le quartier soit sécurisé. Quand le Raid commence, là, c’est la guerre. Des mitraillettes en permanence, et deux grosses explosions. En attendant, on entend tout. C’est assourdissant. Quand les policiers ont la permission de sortir les premiers blessés, je sors avec eux, allongé sur une civière. En civière, je suis protégé par quatre policiers. Deux à côté de moi courent avec une arme à la main. Je suis torse nu dans la rue, je suis inquiet et leur demande si la zone est bien sécurisée. J’ai relevé la tête, je voulais voir tout se qui se passait pour me rassurer : des gens du GIGN et de la BRI, qui ont des armes, sont postés un peu partout. »

« La balle a traversé votre corps, vous avez eu beaucoup de chance »

« Ils m’ont amené dans ce poste de premier soin, un restaurant où il y avait beaucoup de corps par terre. J’en ai vu une vingtaine, des blessés ou des morts. Des personnes sont venues me voir. J’étais conscient et presque serein, ils ont vu que je n’étais pas vraiment en danger. D’ailleurs ces gens-là, les infirmiers de la Croix-Rouge, et ceux qui portaient des blouses, je ne sais plus trop, ont un sacré sang-froid. C’était très procédurier, sur une échelle de 1 à 10, on m’a demandé l’intensité de mes douleurs, j’ai dit 1. Voilà, j’étais rassuré. On m’a mis mes premiers pansements : « Il n’y a aucune balle, elle a traversé votre corps en longueur, vous avez eu beaucoup de chance. » La balle est passée à un centimètre de ma colonne vertébrale. Elle est rentrée sous mon omoplate et est ressortie par ma nuque. Je me sentais tellement soulagé. Autour de moi, je ne voulais pas regarder les corps. Le moins possible d’images traumatisantes. Je voulais me protéger comme je pouvais du mal psychologique. Il y avait des cris et des gens en situation grave. Alors à ce moment-là, je me suis assis, et j’ai regardé mes pieds… »

François souhaite témoigner anonymement

François est resté assis adossé contre le mur du bureau durant l’entretien. Il tenait entre ses mains son badge d’accès à RFI et a gardé sa veste durant notre échange. Il a bu un verre d’eau puis a parlé sans discontinuer. Il a commenté à voix haute les images qui lui revenaient en tête. Plus tard dans son récit, François a évoqué les témoignages qu’il a eu le temps d’entendre dans les hôpitaux qu’il a fréquentés durant les heures qui ont suivi. Notamment celui de cette jeune femme qui, faignant d’être morte, a vécu les tirs, l’horreur, les rires des terroristes, le carnage en baignant dans le sang de ses voisins. L’enfer. François explique que, pour lui, « c’était du tac au tac. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’ai eu de la chance mais maintenant quand j’y pense, j’essaie de comprendre ce qu’il s’est passé, j’essaie de comprendre pourquoi ça s’est passé. »

« J’ai vécu ça comme un flash »

François veut rester anonyme. Mais il se confie sur la fin : « J’ai vécu ça comme un flash, je ne me laisserai pas abattre. J’ai survécu à un cancer, et au licenciement de ma boîte à l’époque. » Il sourit. « J’ai fait deux fois le festival Burning Man (« homme qui brûle ») en 2011 et en 2012. Je suis allé tout seul à ce festival mythique dans le désert californien. Sur place, j’ai rencontré des gens qui sont devenus mes amis. Beaucoup m’ont contacté après le Bataclan. C’était mon rêve de gosse la Californie, c’est pour ça que j’aime les groupes américains. J’aime l’esprit utopique du Burning Man [ cette rencontre artistique propose d’abattre toutes les barrières, aussi bien à l’intérieur de soi qu’entre les individus de la collectivité, NDLR]. D’ailleurs, après un moment passé là-bas, dans ce sas de décompression, quand on rentre en ville, on se demande pourquoi l’utopie n’est que temporaire. »
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Le risque d’un état de stress post-traumatique par Aline Desmedt

Le risque d’un état de stress post-traumatique par Aline Desmedt
Aline Desmedt, Université de Bordeaux

Neurobiologiste au Neurocentre Magendie de l’université Bordeaux, INSERM U862, Université de Bordeaux
Aline Desmedt a reçu des financements de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), la FRC (Fédération de Recherche sur le Cerveau), l’INSERM et le CNRS via un Laboratoire européen associé.

The Conversation France est financé par l’Institut Universitaire de France, la Conférence des Présidents d’Université, Paris Sciences & Lettres Research University, Sorbonne Paris Cité, l’Université de Lorraine, l’Université Paris Saclay et d’autres institutions membres qui fournissent également un soutien financier.À la douleur de la disparition brutale et dans des conditions barbares de proches ou de simples concitoyens, au profond sentiment d’effroi, de tristesse, d’impuissance et souvent de colère ressenti par les témoins de l’assassinat de plus de cent personnes, s’ajoute le risque de développer chez les victimes survivantes d’un tel trauma une pathologie connue sous le nom d’état de stress post-traumatique (ESPT).

L’ESPT est un trouble psychiatrique lié au stress pouvant se développer à la suite d’un épisode traumatique vécu comme une menace pour l’intégrité physique et/ou psychologique du sujet. Au cœur de ce trouble se développent des souvenirs liés au trauma, intrusifs, incontrôlables et persistants, ayant un impact délétère sur la vie quotidienne du patient. De 25 à 50 % des victimes d’un événement traumatique majeur (par exemple, combats militaires, génocides, attaques terroristes, viols) peuvent développer cette pathologie.

Un médecin de l’US Army.
MilitaryHealth/Flickr, CC BY

Bien que les sujets ne soient plus en situation de confrontation directe à l’épisode traumatique, des éléments plus ou moins liés au trauma (une odeur, un bruit rappelant la scène traumatique) les replongent au cœur du drame qu’ils ont vécu et qui a mis leur vie en danger. Les victimes revivent alors tout l’événement de manière quasi hallucinatoire comme s’il se déroulait à nouveau dans le présent : c’est l’expérience du « flash-back ».

Pourtant, si on leur demande de le raconter en détail avec des précisions sur le lieu, le moment, les personnages, elles ne parviennent pas à se rappeler consciemment, c’est-à-dire explicitement, l’ensemble du contexte dans lequel le drame s’est déroulé. Le souvenir émotionnel, implicite, automatique et récurrent de l’événement est très intense alors que le souvenir épisodique, conscient et verbalisable, du même événement peut être très ténu. Voilà tout le paradoxe de la mémoire traumatique.

Altération de la mémoire

Des études cliniques indiquent que cette altération qualitative de la mémoire est en fait l’un des symptômes clés de l’état de stress post-traumatique. Certains éléments particulièrement saillants ont capté toute l’attention consciente du sujet au moment du drame, ce qui a créé une hypermnésie pour ces éléments, tandis qu’une amnésie déclarative peut être observée pour l’environnement dans lequel il s’est déroulé. Or, on estime aujourd’hui que c’est cette amnésie qui, paradoxalement, contribuerait largement à l’expression des flash-back dans des situations neutres.

En effet, plusieurs études cliniques ont conduit à formuler l’hypothèse suivante : le refoulement du souvenir conscient de l’événement insupportable empêcherait tout travail sur cet événement, c’est-à-dire toute la verbalisation nécessaire pour replacer le trauma dans son contexte. Cela bloquerait l’intégration du souvenir traumatique dans le système de mémoire consciente, normale, du sujet. Un cercle vicieux s’instaurerait alors. Le rappel conscient étant initialement vécu comme insupportable, il serait, par souci de protection à court terme, assez automatiquement et systématiquement évité. De ce fait, le souvenir « pathologique » du trauma n’aurait aucune chance d’être transformé en souvenir, certes pénible, mais néanmoins épisodique et donc « normal ». Ce souvenir pathologique perdurerait donc sous forme de rappels intrusifs : les flash-back.

Sur la base de ces données psychologiques, il ressort que l’un des moyens de prévention de ce trouble psychiatrique est une prise en charge immédiate des victimes d’événements traumatiques. Un « débriefing », même s’il s’avère nécessairement très pénible, en particulier au sortir de l’événement traumatique, paraît nécessaire à une « contextualisation » du trauma, et donc à une élaboration verbale permettant un certain recul par rapport à l’événement. Limiter le risque de développement d’une telle pathologie semble à ce prix.

À ce jour les causes de l’état de stress post-traumatique sont largement méconnues. Le développement de cette pathologie liée au stress semble à la fois dépendre de l’intensité objective du trauma vécu, de l’analyse subjective de la situation vécue et en particulier du sentiment subjectif de « contrôle » ou d’absence de contrôle de la situation, et de la vulnérabilité du sujet (en particulier dépendante de sa confrontation à des situations de stress antérieures), laquelle reposerait sur certaines prédispositions biologiques en cours d’identification.

Neurobiologie du stress post-traumatique

À ce propos, que connaît-on des bases neurobiologiques de l’ESPT ? En fait, en dépit d’un tableau clinique précis, elles sont très peu décrites. Des études d’imagerie cérébrale ont montré une altération de l’activité cérébrale dans deux zones du lobe temporal médian impliquées dans la maladie : l’amygdale qui joue un rôle central dans la mémoire émotionnelle et l’hippocampe qui est nécessaire à la mémoire déclarative, épisodique. Les patients présentent à la fois une activité accrue de l’amygdale et un dysfonctionnement de l’hippocampe par rapport à des personnes ayant vécu un épisode traumatique mais n’ayant pas développé de trouble.

L’idée qui fait consensus est la suivante : la suractivité de l’amygdale sous-tendrait l’hypermnésie vis-à-vis de certains éléments saillants du trauma ainsi que les flash-back, tandis que le dysfonctionnement (souvent une hypoactivité) de l’hippocampe serait responsable de l’amnésie vis-à-vis du contexte traumatique. Cette altération cérébrale expliquerait ainsi en partie le fait que les patients puissent « revivre » le trauma dans tous ses aspects sensoriels et émotionnels tout en étant incapables de « raconter » l’épisode traumatique dans tous ses détails, en particulier contextuels. Toutefois les altérations cellulaires et moléculaires pouvant sous-tendre ce dysfonctionnement cérébral restent à identifier.

Un modèle animal récemment développé par notre équipe permet précisément d’étudier ce qui se passe dans le cerveau de souris ayant développé une mémoire traumatique, c’est-à-dire une altération qualitative de la mémoire d’un épisode de stress (hypermnésie vis-à-vis de certains éléments saillants associée à une amnésie pour le contexte de l’événement). Ce que nous recherchons : les premiers marqueurs biologiques de cette pathologie psychiatrique.

Dans un premier temps, nous avons vérifié que nous retrouvions bien, comme chez l’homme, une sous-activation de l’hippocampe et une suractivation de l’amygdale. Désormais, nous pouvons donc utiliser notre modèle pour explorer plus avant les mécanismes cérébraux de cette pathologie et en particulier les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents.

Au niveau cellulaire, certains de nos résultats très récents obtenus en collaboration avec les docteurs Koehl et Abrous du neurocentre Magendieindiquent déjà que, comparée à une mémoire émotionnelle normale, une mémoire traumatique est associée à une atrophie neuronale dans l’hippocampe, et ce 24 heures après l’épisode de stress, chez la souris. Nous cherchons aussi à vérifier si la mémoire traumatique est bien associée, comme nous le postulons, à un déficit de neurogénèse et de plasticité synaptique dans l’hippocampe.

Enfin, au niveau moléculaire, on sait que des mécanismes dits « épigénétiques » favorisent ou, au contraire, répriment l’expression de gènes en fonction des expériences vécues par les sujets. Par exemple, au cours d’un apprentissage, certaines modifications de molécules favorisent l’expression de gènes impliqués dans la plasticité neuronale en promouvant la lecture de notre ADN et donc la production de certaines protéines. Ce mécanisme permet la consolidation de nos souvenirs, et donc la formation d’une mémoire à long terme.

Phil2007/Wikimedia, CC BY

Mais que se passe-t-il dans le cas de l’état de stress post-traumatique ? Des données préliminaires obtenues par notre équipe en collaboration avec le Dr Mons de l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine indiquent que, comparée à une mémoire émotionnelle normale, la mémoire traumatique est associée à des modifications épigénétiques qui répriment des phénomènes de plasticité dans l’hippocampe.

Thérapeutique

Ce résultat pourrait avoir des implications thérapeutiques fondamentales pour le stress post-traumatique. En effet, en injectant des molécules capables de modifier ces mécanismes, on pourrait stimuler la plasticité neuronale dans l’hippocampe, et donc restaurer une mémoire émotionnelle normale chez les patients, ou prévenir le développement d’une mémoire traumatique juste après un stress extrême. Nous évaluons actuellement cette hypothèse dans l’objectif, à plus long terme, de mettre au point une méthode pharmacologique qui, associée à l’approche cognitivo comportementale actuellement utilisée, pourrait plus efficacement traiter cette pathologie.

The Conversation

Aline Desmedt, Neurobiologiste au Neurocentre Magendie de l’université Bordeaux, INSERM U862, Université de Bordeaux

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.