Covid-19 : l’art au secours de la santé mentale

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l’art 3 novembre 2020


Les cas de Covid-19 semblent se stabiliser depuis le début de la deuxième vague de la pandémie au Québec, mais une autre courbe atteint des niveaux inquiétants : celle des problèmes de santé mentale. Est-ce que l’art pourrait être un remède ?
Les risques psychosociaux associés à la Covid-19 concernent tout le monde et particulièrement les jeunes adultes. La pandémie cause une panoplie d’impacts négatifs sur la santé mentale de la population. À un point tel qu’il devient urgent de les atténuer selon divers spécialistes.
Devant ce constat, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) suggère, entre autres l’écoute de soi et la pratique d’activités agréables et relaxantes.
L’art peut aider à suivre ces recommandations et, plus que jamais, son potentiel d’apporter un bien-être psychologique en situation de crise fait l’objet d’études. Malgré ces constats, l’art reste un outil encore peu exploité en santé mentale.

L’observatoire canadien

Dans le cadre de nos travaux au sein de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire, nous étudions le potentiel vertueux des activités artistiques en temps de Covid.
Nous avons notamment observé, depuis le début de cette pandémie, différentes manifestations artistiques spontanées de la part de personnes confinées.
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Nous avons également collecté des données sur les risques du confinement et les vertus de l’art sur la santé mentale. De plus, lors de la première vague de la Covid-19, nous nous sommes entretenus avec des art-thérapeutes et plusieurs artistes.

La détresse amplifiée

Les pandémies potentiellement mortelles génèrent diverses psychopathologies relevant principalement du stress. En effet, les consignes sanitaires, la durée et le caractère obligatoire du confinement peuvent être source d’angoisse. À cela s’ajoutent d’éventuelles difficultés d’accès aux soins, des pertes financières, l’éloignement des proches, la privation de libertés, l’altération de la routine et l’afflux d’informations anxiogènes.

L’alexithymie

Ou l’incapacité d’identifier et d’exprimer ses émotions lors de troubles psychosomatiques – et la contagion émotionnelle – ou la propagation de l’humeur et de l’affect par l’induction directe d’émotions – risquent également d’amplifier la détresse psychologique.

Le déconfinement

Les experts en santé publique s’inquiètent également des dangers du déconfinement. Ils estiment que l’effet protecteur du repli chez soi suggère une possible émergence d’états anxieux après le confinement.
Les risques psychologiques de la quarantaine, observables à l’échelle mondiale, sont l’anxiété liée à l’incertitude, l’ennui, la dépression et les idées suicidaires.

L’art à la rescousse

Tardivement traitée, l’anxiété peut conduire à la dépression, pourtant on constate l’insuffisance de ressources dédiées à la santé mentale.
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Sortir de l’immobilisme

L’art-thérapie allie expression créative, pleine conscience et autocompassion. L’autocompassion contribue à l’amélioration de la santé mentale et du bien-être émotionnel, psychologique et social. La pleine conscience favorise l’expression et l’autoréflexion. Un exemple d’art-thérapie à distance propose d’ailleurs de visualiser ses blocages personnels par la création artistique et ainsi surmonter ses difficultés durant la pandémie.
En outre, s’investir dans un projet artistique permet de sortir de l’immobilisme, d’améliorer l’estime de soi et d’activer ses sens.

Le processus créatif

Le processus créatif aide à soulager la détresse. Les objets artistiques créés traduisent une réalité interne dont on n’a pas toujours conscience. L’art-thérapie ouvre une voie pour exprimer, comprendre et réguler les émotions. Certains témoignages éclairent d’ailleurs sur le potentiel de résilience de l’art : l’œuvre devenant « objet de guérison ».
À titre d’exemple, le dessin est utilisé pour sa fonction de représentation, de projection et d’extériorisation ; l’image devenant un véhicule de la pensée. La sculpture sur argile stimule surtout la concentration et l’expression des sentiments. La Danse Mouvement Thérapie (DMT) agit principalement sur l’humeur, tandis que la création musicale est un levier de bien-être. La Norvège est d’ailleurs en voie d’intégrer la musicothérapie à son système de soins de santé mentale.

Covid-19 et art

En général, les Québécois pratiquent en priorité les arts visuels, l’artisanat, la danse et la musique. Vu l’ampleur des risques psychologiques de la crise actuelle et le potentiel de l’activité artistique pour les contrer, les infrastructures culturelles et l’accompagnement paraissent sous-dimensionnés.
Cependant, durant le confinement, les organismes culturels ont revu et maintenu les activités en ligne (Culture pour tous). Le musée CAM, The covidartmuseum, est ainsi né d’expressions artistiques libératrices liées à la Covid-19.
En outre, la pratique amateur a perduré et de plus en plus de personnes veulent se lancer dans des projets artistiques. Pour le public, l’envie est là. D’ailleurs, les organisations en lien avec nos aînés soulignent l’importance de ces actions artistiques auprès de leur clientèle.
En encourageant ces initiatives, il semble envisageable de soutenir l’intérêt pour l’art et la pratique artistique autonome. Les reproductions d’œuvres d’art à la maison, soutenues par certains musées, illustrent cette dynamique.

Chanter au balcon

Nos recherches montrent que pour soutenir toute forme de médiation artistique dans le contexte actuel, il importe d’innover, avec des spectacles en plein air ou des expositions virtuelles, par exemple. Comme l’ont fait les Italiens en chantant sur leur balcon, il faut s’adapter et retenir des processus artistiques permettant de soulager le stress et favoriser le mieux-être.
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La Covid-19 n’est pas un traumatisme ! par Nayla Chidiac

Covid-19
La Covid-19 n'est pas un traumatisme ! par Nayla Chidiac
Nayla Chidiac
12/10/2020
Mon écrit portera sur les mots et la pensée, afin de parler de l’Ici et maintenant du 21 siècle et en particulier, de l’Ici et maintenant de la crise de la Covid-19 où, pour une fois, la planète terre vit la même crise, la même inquiétude, les mêmes dysfonctionnements.
L’objectif de mon propos est le suivant : montrer que nous ne sommes pas en train de vivre un traumatisme mais une crise. Et, comme le dit Clément Rosset, les mots sont une chose sérieuse. Une crise n’est pas un traumatisme. Elle peut engendrer un traumatisme mais elle n’est pas systématiquement source de traumatisme.
Il est donc important de comprendre que palier à la crise est impératif. Par conséquent, ne parlons pas de traumatisme avec légèreté.

Qu’est-ce que le traumatisme ?

Rappelons que le mot « trauma », contraction du mot « traumatisme », vient du grec ancien traumatismos, qui peut être traduit par « blessure ». Transposé à la psychopathologie, le mot assorti de sa précision « psychique » peut être défini comme

« le phénomène de bouleversement qui se passe à l’intérieur du psychisme lorsqu’un excès d’excitations extérieures attenantes à un évènement subit, violent et agressant vient faire effraction au travers des défenses de ce psychisme ».

(in L. Crocq, 2016).

Il se trouve qu’au 21ème siècle, ce concept a été galvaudé. Il convient donc de redonner au trauma sa véritable définition et ses caractéristiques propres de soudaineté, de violence et d’exception.

Guerre du Vietnam

Au retour de la guerre du Vietnam les morts par suicide étant plus nombreux que les morts aux combats, il devenait essentiel de créer un concept afin de pouvoir indemniser ces hommes aux blessures invisibles. A savoir les blessés psychiques, les traumatisés comme les avaient déjà définis Oppenheim en 1880. C’est ainsi que voit le jour le concept de post traumatic stress disorder (PTSD). La version française reste l’état de stress post traumatique (ESPT), appellation qui change souvent mais qui introduit le concept de stress. Je vous disais que le mot, les mots, sont une affaire sérieuse.
En incluant le mot stress, tout devient subordonné à un état de stress post traumatique, au point d’oublier le mot traumatique.

De la névrose au stress

En 1980, la troisième version du système nosologique américain DSM (diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) a promu le vocable de PTSD. Celui-ci désigne ce que les nosographies, c’est-à-dire les classifications des maladies européennes, reconnaissaient sous le concept de névrose traumatique. L’introduction du mot anglais « stress » dans la pathologie psychique n’est pas sans raison. Elle reflète une prise de position résolument biologique, au détriment du mot « névrose », récusé par les auteurs du DSM à cause de sa connotation psychanalytique. Le mot stress devient la star du diagnostic. Il devient alors logique –, c’est une question de bon sens lorsque les mots ne sont pas à leur place – que pratiquement tout le monde soit « traumatisé ».

Qu’est-ce qu’une crise ?

Nous sommes face à une crise. Une crise telle que la définissait le grec ancien krisis, lui-même dérivé du verbe krinein qui signifiait « trier », « choisir » et par conséquent décider. Le concept s’étend ainsi de la crise de l’individu à la crise d’une communauté.
Une crise implique une rupture, elle nécessite un dépassement. Toute crise n’est pas traumatique, mais il est possible qu’une crise mal gérée, ne permette pas le dépassement et devienne ainsi un terreau à un potentiel traumatisme.

La Covid-19 n’est pas par nature un traumatisme

La situation créée par la Covid-19 ne traumatise pas d’emblée tout le monde. Ce virus n’est même pas potentiellement traumatique en tant qu’évènement. On peut en exclure les personnes en réanimation et les deuils sans adieu, sans corps, qui peuvent être de nature traumatique comme l’ont été ceux consécutifs aux drames du Tunnel du Mont Blanc (1999) et du Tsunami (2004). Mais, pour une partie de la population il s’agit de stress, de symptômes d’anxiété importants, de dépressions, voire de décompensation délirante.

Pas d’effraction, donc pas de résilience

L’effraction est ce qui caractérise le traumatisme psychique. Une déchirure spatio-temporelle, une perte du sens. Comment restaure-t-on une pensée effractée, une pensée traumatisée ? Pas par la résilience selon moi. Ce n’est pas en imaginant, en espérant revenir à l’état dans lequel on était avant l’effraction psychique. Ce serait se leurrer, ce serait vouloir retrouver le paradis perdu. Il est déjà important de comprendre que toute personne se trouvant face à une situation de crise potentiellement traumatisante ne sera pas systématiquement traumatisée, fort heureusement. Pour se libérer du trauma, il s’agit non pas de donner du sens au non-sens du trauma mais d’élaborer, de penser donc, et de créer du sens, de transformer.

Un gardeur de troupeaux

A la fin du 19 et début 20ème siècle, émerge en Europe la crise du sujet. Nietzche annonce la mort de Dieu, Freud met au jour la complexité du Moi. A la même période, Rilke écrit Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, Kafka son Journal et Pessoa son Livre de L’Intranquilité. L’écriture de soi est bien plus qu’un instrument de connaissance de Soi elle est pour certains re-création de Soi. C’est l’époque de la crise du sujet, certes, mais elle se traduit par une invention de Soi. Il s’agit de se tirer soi-même hors du marécage métaphorisé par ces trois auteurs pour illustrer la sortir de crise par le sujet.
De nos jours, nous n’assistons plus à une crise du Sujet mais une crise des frontières. Frontières géographiques certes, mais surtout frontières du Moi.
Un sujet devenu épave, au service d’une société occidentale qui l’infantilise, le traumatise pour un oui ou pour un non. Les limites du corps qui deviennent floues, incertaines puisque modifiables. Les limites psychiques puisque l’extrême vigilance, la surveillance intempestive provoque de nouveaux symptômes. Big brother est désormais non plus une fiction mais une réalité.

Le poème de Pessoa

Le 21ème siècle nous invite donc à être ce « gardeur de troupeaux » du poème de Pessoa. « Le troupeau ce sont mes pensées » écrit-il. Si une effraction a lieu (causant un trauma), si un mouton est blessé ou plusieurs moutons sont tués par un chasseur perdu, alors le troupeau se reforme. Le troupeau change de forme comme l’eau, et continue à être un troupeau grâce à ce « gardeur » qui est une partie de soi. C’est de cette façon, en transformant ses pensées et en les reformant que l’on peut dépasser la crise. On permettra à ses pensées de poursuivre leur vie.

Le temps d’élaborer

Donnons au Sujet le temps d’élaborer, de puiser dans ses ressources internes afin de dépasser la crise sans d’emblée se confronter au « traumatisme ». Apprenons à gérer la crise pour éviter le post covid-19 qui, s’il est mal géré, ne déclenche un effondrement du cadre qui, lui, risquera vraiment d’être traumatique. Continuons à penser, à être créatif, à rester « soi », et à donner du sens aux mots.

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