Dana Diminescu : aujourd’hui le migrant est connecté, et non plus un « déraciné »

Dana Diminescu : aujourd’hui le migrant est connecté, et non plus un « déraciné »
22/01/2016
Par Catherine Petillon
Un téléphone et les applications qu’il contient, une connexion web : voilà ce qui aujourd’hui ressemble à un kit de survie pour ceux qui doivent quitter leur pays. Désormais, les migrants sont « connectés ».
Pour Dana Diminescu, cela oblige à envisager différemment les migrations. La sociologue travaille depuis une quinzaine d’années sur la manière dont les technologies de l’information et des télécommunications changent les migrations.
Dana Diminescu dirige le programme « Migrations et numérique » à la Fondation Maison des sciences de l’homme. Elle est aussi enseignante-chercheuse à l’Ecole d’ingénieur Télécom Paritech :
Restitution écrite de l’entretien

Que sait-on aujourd’hui de la manière dont les migrants utilisent les outils numériques ?

Les migrants utilisent ces outils depuis un moment, mais la société ne se rend compte que maintenant de l’importance du phénomène. C’est en effet une transformation sociologique assez complexe, car les technologies de l’information et de la communication (TIC) ne touchent pas seulement la communication, mais tous les aspects de la vie d’un migrant. Je pense à tout son parcours depuis la formulation d’un projet de départ – qui peut commencer par une bonne recherche sur Google – jusqu’au voyage.
On voit bien aujourd’hui avec les flux de réfugiés sur les routes balkaniques à quel point le téléphone, avec toutes les applications qu’il contient, devient un kit navigateur utile qui les aide à s’organiser, à se sauver parfois. Cela les aide d’abord pour rester en contact – pour rassurer la famille, activer les réseaux d’amis – pour s’orienter, probablement aussi pour chercher des passeurs, se créer de nouveaux contacts et les garder.

Etre connecté, est-ce que cela change la manière de partir et mener à bien son périple ?

Je pense qu’aujourd’hui le migrant s’approche du navigateur. Il est de moins en moins déraciné, désormais, il est connecté. En sociologie, on parle de présence connectée, parce qu’une fois qu’on a un téléphone en poche, on est potentiellement joignable. Cela ne veut pas dire qu’on parle tout le temps ni que la connectivité signifie forcément la communication. Quand je parle de “migrant connecté”, je pense à tout ce qu’il porte sur lui et qui donne accès : cela peut être le téléphone, mais aussi une carte bancaire, une carte de transport, un passeport biométrique. Il s’agit d’un univers digital dans lequel nous évoluons tous, nous comme les migrants.

Justement, est-ce que cela implique quelque chose de spécifique pour les migrations ?

La transformation que je vois c’est qu’au fond on a longtemps travaillé sociologiquement avec l’image du “déraciné” ; on pense que le migrant est quelqu’un qui coupe les liens dans son pays d’origine, qui n’arrive pas forcément à les créer dans le pays où il arrive, et donc qu’il est l’acteur de cette “double absence” dont parle Abdelmalek Sayad dans ses travaux.
La figure de ce déraciné traverse toute la sociologie d’un siècle mais aussi la manière politique de gérer les migrants aujourd’hui. Or si l’on pense que c’est une personne équipée, peut-être que l’on peut penser un autre type de gestion. C’est-à-dire utiliser la traçabilité numérique non pas uniquement pour contrôler les migrants, mais aussi pour les aider, leur proposer d’avantage de services, comme le font quelques start-up innovantes.

Vous parlez d’une double présence des migrants

Oui et même de présence multiple. La présence se joue ici dans le lien que les migrants entretiennent avec les familles ou les réseaux proches qui ne sont pas forcément dans le pays d’origine. Le fait de pouvoir parler quasiment gratuitement, de se voir en plus – grâce à Skype – fait que l’on passe d’une communication qui supplée l’absence à une façon de vivre ensemble à distance. Et ça c’est un grand changement. Le lien existait entre le migrant du XIXe et sa famille, et il était fort. Mais avec les nouvelles technologies, ce lien est cultivé, pratiqué, expérimenté, d’une manière quotidienne.

Cela change quoi ?

Cela les aide à garder le contact. Même si on peut aussi voir des cas de ghettoïsation et de renfermement, de manque d’ouverture vers la société d’accueil. Cela devient aussi quelque chose qui pèse sur le migrant. Car la famille qui est loin attend des nouvelles : raconter sur Facebook, au téléphone, tout cela devient le premier travail du migrant.

En quoi le numérique change-t-il aussi la notion même de frontière ?

Oui, la frontière Shengen c’est d’abord une forteresse digitale. La franchir, c’est passer par un ordinateur. Un jour, un migrant qui m’a dit :

“à la frontière, ils m’ont cherché sur l’écran, ils ne m’ont pas vu, ils m’ont laissé passer”.

C’était en 1999, et c’est là que j’ai compris que la frontière n’est plus une frontière géographique, elle est une frontière informatique et avant d’arriver sur le territoire de destination il faut passer par le fichier de délivrance des visas d’un consulat dans le pays d’origine, par un ordinateur à la frontière réelle ou dans l’ordinateur d’un agent de police. La frontière devient ubique et individuelle.

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Les vioLences à L’égard des femmes demandeuses d’asile et réfugiées en France

Les vioLences à L’égard des femmes demandeuses d’asile et réfugiées en France

Une étude de France terre d’asile Les cahiers du social n°40 // Avril 2018
cette étude a été réalisée par :
Olga Bautista Cosa
Chercheuse experte en genre et violences basées sur le genre et Doctorante en socio-anthropologie de la Faculté de Sciences politiques et sociales de l ́Université Complutense de Madrid.
Sous la direction d’Hélène Soupios-David, chargée des questions européennes et des études à France terre d’asile
Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet VIDA, « Violences à l’égard des femmes demandeuses d’asile et réfugiées en France », mené par France terre d’asile de septembre 2017 à avril 2018.
Le projet a reçu le soutien financier du Département d’État des États-Unis dans le cadre du « Julia Taft Fund ».
Bien que cette étude ait été financée par une subvention
du Département d’État des États-Unis, son contenu n’exprime et ne reflète pas nécessairement les opinions du Département d’État et / ou du gouvernement des États-Unis.


Photo de couverture : reproduction d’une œuvre de l’artiste iranienne en exil Hura Mirshekari. Les femmes et les violences qu’elles subissent sont une part importante de son œuvre.
Après avoir été hébergée au Cada de Créteil de France terre d’asile, Hura est désormais
en résidence à la Cité internationale des arts de Paris (2017-2018) dans le cadre
du programme d’accueil d’artistes réfugiés. Pour plus d’information : www.aa-e.org/fr/artiste/577 Conception graphique : Stéphane Bazin, bazinfolio.com
Impression : Encre Nous

Pour lire l’étude, cliquez sur la peinture de Hura Mirshekari