« Art Therapy with migrants » – livre de Monica di Rocco

"Art Therapy with migrants" – livre de Monica di Rocco
Je suis Italienne et j’ai travaillé à la Frontière entre Menton et Italie (Vintimille).

Info livre : diroccomonica@gmail.com

4e de couverture

Les phénomènes migratoires, accélérés par la mondialisation, sont des phénomènes le plus souvent vécus comme dérangeants. On voit, dans les colonnes de l’exil, le migrant comme celui qui occupe peu ou prou la place du fou d’autrefois, dérangeant certes mais également, pour qui sait et veut bien l’écouter, révélateur de vérité.
C’est ce qu’a bien compris Monica Di Rocco, art-thérapeute engagée depuis ses débuts d’artiste peintre. Elle a puisé dans ses capacités professionnelles auprès des minorités souffrantes (femmes, enfants, handicapés) pour forger, grâce à ses qualités humaines, un militantisme au service des migrants agrippés à la frontière transalpine.
Ainsi a-t-elle offert, dans un processus de synergie créative, aux migrants une reconnaissance avec une possibilité de se reconstruire une identité, à l’art-thérapie une opportunité d’être confortée dans sa dimension de technique à visée relationnelle, reconstructive et préventive de la déréliction.
Être dérangée dans son confort d’artiste pour mieux prendre soin de l’autre, c’est ce qu’a connu Monica Di Rocco et qu’elle a su mettre en valeur pour le transmettre ensuite dans cet ouvrage.


Diplômée de l’Université de Turin comme scénographe, elle crée son Atelier d’arts plastiques qu’elle enseigne parallèlement dans le primaire et le secondaire ; elle développe ensuite son activité avec formation spécialisée dans le domaine de l’art-thérapie et ouvre un Cabinet privé à Vintimille. La situation particulièrement dramatique que vivent les nombreux migrants bloqués, sous ses yeux, à la frontière avec la France la conduite, au sein d’une association, « Penelope », à réaliser un travail d’écoute et de reconstruction identitaire sur la base, notamment, de leurs productions picturales.
L’art-thérapie au profit des migrants souffrant de psychotrauma, tel est le thème de cet ouvrage. Dans cet espace relationnel où se construisent des objets hautement symboliques, se laisser surprendre par le dessin de la barque à la dérive sur le chemin de l’exil en dit plus que tout autre discours…

Préface

Paul Lacaze
Neuropsychiatre et psychanalyste
Président fondateur d’ALFAPSY
Alternative Fédérative des Associations de PSYchiatrie

Les chemins, c’est bien connu, se font en marchant et souvent se croisent pour se perdre aussitôt. Pourtant il est de ces croisements qui, en une sorte de confluence, forment un ensemble nouveau et grandiose. C’est le cas des rivières et des fleuves qui se terminent en estuaires, c’est le cas des humains dont la rencontre peut créer l’union, c’est le cas des techniques dont les apports se cumulent en inventions… et chaque fois le croisement est source de créativité, d’innovation, de naissance à la vie. Le croisement, quand il fait lien, est une force de la nature comme le métissage, avec un peu d’amour, peut produire la richesse d’une culture.
De nos jours la globalisation en marche favorise et accélère ces processus pour le plus grand profit d’une humanité croissante, sous réserve d’équité… trop souvent pervertie, hélas ! on en prend la mesure en observant, quotidiennement, les longues colonnes de migrants tristement segmentées par des drames absolus et des frontières, toujours dans le même sens, sud-nord, en marche… comme pour faire pièce aux colonisations d’une autre époque, celles qui se faisaient victorieusement en sens inverse, nord-sud. Est-il besoin d’indiquer dans quel sens se profile l’avenir ? il vaut sans doute mieux s’intéresser aux richesses que cet avenir promet.

De quoi s’agit-il dans l’ouvrage de Monica Di Rocco ?

Il y a d’une part le chemin d’une Italienne, une artiste guidée par le désir de plaire et de créer une relation de bonté (pour ne pas dire d’amour) envers les publics d’enfants, de patients, de nécessiteux ; il y a d’autre part le chemin de ce Français, neuropsychiatre, psychanalyste, porté par l’idée de transmettre sa culture de clinicien de l’humain aux professionnels qui s’interrogent encore sur leurs pratiques. Le croisement heureux de ces deux trajectoires au carrefour de multiples colloques scientifiques a déclenché chez l’artiste le besoin d’une formation à la relation soignante suivie de l’utilisation des arts plastiques comme support relationnel spécifique, bien connu sous le terme d’art-thérapie.
Et puis, il y a une frontière, un lieu par lequel passe ce nouveau et grand chemin.
Que croise-t-il alors ?
Il croise à son tour le chemin des migrants qui, venant du sud ont vogué au péril de leurs vies vers le nord où ils se brisent douloureusement contre les rochers d’un rivage inhospitalier bordé de carabiniers. Heureusement il y a en ces lieux des personnes sensibles qui forment un cordon sanitaire, des hôtes bénévoles qui viennent à leur secours.
Et que retrouve-t-on dans ce cordon, l’art-thérapie comme espace de dédramatisation, scène de reprise de subjectivation, support narcissique, miroir de reconnaissance, échelle de réhabilitation, de récupération d’identité, de reformulation d’une histoire personnelle, d’un vécu singulier, enfin de l’humain là ou régnait la barbarie et le désordre, la sauvagerie et la cruauté, la famine et la déréliction, là où régnait, en un mot, le psychotrauma et toutes ses variantes, les plus encryptées donc les plus destructrices… !
Serait-il encore nécessaire de se demander en quoi l’art-thérapie aurait à voir avec le trauma des migrants ?
C’est qu’il en va des migrants et de leur terrible insécurité de base, passée, présente et même à venir, comme des autochtones lorsqu’ils sont affectés de graves pathologies qui les réduisent à un état d’extrême fragilité et de dépendance.
Or l’art-thérapie, c’est précisément l’art d’utiliser l’Art à des fins de soin : utiliser le graphisme, le dessin, la peinture, le collage, le modelage, la sculpture, toutes les figures plastiques issues de la créativité. Au fond que fait d’autre un enfant avant même de parler ou d’écrire : il dessine, patauge, malaxe, découpe, autant de gestes plus ou moins aboutis, en recherche non pas de beauté esthétique ni de réalisation pragmatique, non mais plutôt une façon d’exprimer ce que le langage non encore formé ne saurait dire avec tant de finesse, de tact, de sensibilité. C’est un « montré » qui dit sans dire, comme une métaphore du langage. Chez l’enfant, l’infans (le terme serait plus approprié), l’imaginaire domine la pensée et l’emploi du jeu, de la narration, de l’expression plastique constitue l’établi sur lequel se réparent toutes les incompréhensions, les inquiétudes et les déchirements vécus dans leur brutalité infra langagière.
On retrouve, dès les premières communautés sociales préhistoriques, ce même besoin d’exprimer par l’art (dit « brut ») ce qui est perçu comme dangereux, étrangement inquiétant. Ces peintures rupestres retrouvées à Lascaux ou ailleurs, ces troublantes représentations du monde environnant laissées à tout jamais par les fameux « hommes des cavernes » tel les néanderthaliens, ne nous rappellent-elles pas nos dessins d’enfants et leur magie apaisante ? Ce serait comme si la représentation tenait lieu de forteresse contre les dangers ou de déclaration de victoire sur la peur.
Et les migrants, recroquevillés dans leur douleur, leur solitude, leur faim, retrouvent avec l’art « brut » de leur produit imaginatif, le goût et la chaleur de la vie qu’ils avaient aimée au sein maternel mais qu’ils avaient ensuite perdue puis haïe et fuie sous les coups de la guerre ou de la barbarie. L’accompagnement par l’art prend ici toute sa dimension humaine puisqu’il ne s’agit pas seulement d’un passage obligé de l’enfance au cours de son évolution psychoaffective ni d’une technique appliquée dans une indication médicale pour personne malade. Il s’agit ici tout simplement d’une main tendue, et quelle main, celle de l’homme pour l’homme. Il s’agit ici de l’éthique au sens grave du mot ! Car au fond, comment se passent les choses ?
Quand les chemins de la demande de reconnaissance des migrants croisent ceux de l’offre en art-thérapie, un véritable espace relationnel s’ouvre dans lequel la parole du sujet se libère au décours ou à partir des gestes de son élaboration plasticienne, une parole accueillie – comme exposée – sur le registre de l’écoute de l’art-thérapeute jusqu’à la constitution progressive, la réalisation achevée de son œuvre venue de nulle part ! en réalité, une œuvre qui porte en elle toutes les douleurs du monde, tous les espoirs plus ou moins naïfs, tous les rires de la joie retrouvée… Alors, finie la stigmatisation, courage, la route sera encore longue mais on ne sera plus seul !…
Il en est de même quand on exerce la psychiatrie de Cabinet privé. C’est une pratique de proximité, de premier recours en quelque sorte, en ce qu’elle accueille principalement des demandes de soins des patients hors contrainte autoritaire. Ce qui, une fois la confiance établie, crée une relation intersubjective entre soignant et soigné, relation qualifiée de psychothérapie grâce à son caractère psychodynamique que les psychanalystes nomment communément relation transférentielle ou, mieux, « espace transférentiel ».
Dans l’espace symbolique ainsi créé le patient peut déployer ses replis intimes à la découverte de soi. Par ce processus de subjectivation, de reconnaissance de Sujet (ou de Personne pour reprendre la terminologie anglo-saxonne) le patient devient porteur de sa propre histoire individuelle et familiale, pris dans son propre environnement social et culturel. Or cette reconnaissance de Sujet est indispensable au patient pour tenter de restaurer son image sociale, autrement dit pour éviter qu’il éprouve le sentiment d’une stigmatisation liée à sa souffrance psychique.

libro Monica di Rocco

Ainsi, quelles que soient les approches relationnelles, médiatisées comme ici en art-thérapie ou uniquement verbales comme en psychothérapie, en évitant sa marginalisation sociale, on aide le migrant, le patient ou toute personne en état de désarroi, de déréliction, de souffrance psychique post-traumatique ou psychopathologique, à recouvrer une certaine capacité de confiance en soi et d’autonomie donc à mener, au meilleur niveau possible, sa vie citoyenne.
Au Cabinet du psychiatre l’espace transférentiel ou relation thérapeutique est avant tout un espace de parole, un espace narratif, fictionnel, donc un espace d’écoute, de compréhension et, si possible, d’interprétation au sens psychanalytique.

Mais dans les situations les plus fréquentes les personnes ne disposent pas de ressources langagières suffisantes ou leur pathologie ne s’y prête pas. Dans le cas plus précis des migrants qui viennent de traverser les pires horreurs, une fois accrochés aux rochers de l’espoir la stupeur rend leur parole trop faible, trop défaillante (souvent idiomatique, de surcroît!) pour faire un travail de soin psychothérapique. L’art-thérapie s’impose alors comme le moyen le plus adapté et le plus séduisant pour réaliser le plus beau croisement des chemins de l’humain.

Des enfants syriens tentent de se libérer de leurs traumatismes grâce au dessin

Dessin d'enfant
10|12 – Des gens sans bras ou sans jambes. Des gens avec la tête coupée. Des gens qui fuient pour sauver leur vie… C’est ainsi que Rema (9) représente ses souvenirs.
Photo: SOS-Kinderdor
(pac/daw/jk)
06 novembre 2019
Victimes de la guerre, des enfants syriens tentent de se libérer de leurs traumatismes grâce au dessin. Cela fait froid dans le dos. Puis chaud au coeur.
La Syrie est en guerre depuis 2011. Et au vu de la situation actuelle, la paix n’est pas prêt de régner. Nul besoin d’être psychologue pour se rendre compte des conséquences désastreuses que peuvent engendrer les conflits armés sur le psyché d’un individu. Encore plus sur les plus jeunes. Car, comme dans toute guerre, les enfants sont les premières victimes. Ils sont contraints de traverser, endurer et regarder des choses auxquelles aucun être humain ne devrait être confronté dans le cadre du développement d’un individu.

L’art-thérapie

Pour tenter de diminuer ces traumatismes, l’association SOS Villages d’Enfants oeuvrant dans la capitale syrienne, mise sur l’art-thérapie. Cette dernière se base sur le dessin comme moyen d’expression. Permettre aux enfants de libérer leur imaginaire par le biais du stylo dans l’optique de faire face à l’horreur de la guerre et leur permettre d’exprimer autre chose que les horreurs qu’ils ont vécues.
Azzam, par exemple, a perdu son frère et sa mère à cause de la guerre. Le garçon de 10 ans tente d’oublier grâce au dessin. Au début, ses esquisses représentaient encore et encore son frère décédé, des maisons bombardées, des voitures brûlées. Les oeuvres de Nada (11 ans), Rema (9 ans) et Baraa (8) ne sont pas moins bouleversantes.

« Ce sont des images très fortes, touchantes, illustrant le désespoir, les violences et les peurs que vivent au quotidien ces petits, raconte Irena Degunda, art-thérapeute. Il faut qu’ils parviennent à exprimer leurs traumatisantes expériences de vie »

pour en souffrir le moins possible.

Des lueurs d’espoir

Cette thérapie est en train de porter ses fruits. Petit à petit, les enfants dessinent à nouveau des images teintées d’espoir. Azzam rêve de devenir ingénieur. Il se dessine à présent avec des ouvriers du bâtiment, en train de reconstruire les maisons détruites à Alep.
De telles esquisses montrent l’utilité de cette thérapie. « Cela montre à quel point notre travail peut être bénéfique. Les enfants, dont certains ne connaissent que la guerre et la destruction, peuvent se confier à leurs éducateurs et parler du passé. », témoigne Derya Kilic responsable de SOS Villages d’Enfants en Suisse.
« Le but de notre travail est d’offrir aux enfants un avenir dans lequel ils pourront s’épanouir. Je suis infiniment reconnaissant à tous ceux qui soutiennent ce processus thérapeutique », conclut Dery Kilic.

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