Suède : Qu’est ce que le « syndrome de résignation », cette maladie qui ne touche que les jeunes réfugiés ?

De jeunes réfugiés suédois sont touchés par un syndrome endémique. — PANCIC NEMANJA/SIPA
Suède: Qu’est ce que le « syndrome de résignation », cette maladie qui ne touche que les jeunes réfugiés ?

L.Br.
24/05/18
ASILE Les médecins qui se sont penchés sur ces cas n’ont toujours pas trouvé d’explication à cette pathologique qui ne franchit pas les frontières du pays…
C’est une maladie qui n’existe qu’en Suède et que chez les réfugiés. Le « syndrome de résignation », ou « Uppgivenhetssyndrom », sévit en Suède depuis 20 ans. Les médecins qui se sont penchés sur ces cas n’ont toujours pas trouvé d’explication à cette pathologie qui ne franchit pas les frontières du pays.

Dans un article paru début avril dans le New Yorker et traduit par l’Obs, la journaliste Rachel Aviv a révélé au monde entier une maladie que les Suédois connaissent trop bien : le syndrome de résignation. Il touche les enfants d’immigrés dont la demande d’asile n’est pas accordée ou en attente.
Ils ont en général entre 8 et 15 ans, et se mettent en veille pendant des mois. Entre 2000 et 2005, plus de 400 enfants sont tombés dans cet état léthargique. Originaires d’anciens pays soviétiques et de Yougoslavie, la plupart d’entre eux sont issus des communautés Roms et Ouighours.

L’aînée n’a pas bougé depuis deux ans et demi

C’est le cas de Djeneta et Ibaneta, deux sœurs Roms. Leur famille vient d’obtenir en mars un permis de séjour de 13 mois, mais l’aînée n’a pas bougé depuis deux ans et demi. La photo de ces deux jeunes filles allongées, comme endormies, a remporté le prix World Press.
Idem pour Georgi, un fils d’immigrés russes. En Septembre 2015, après avoir lu à ses parents, qui ne parlent pas suédois, une lettre de refus du bureau d’asile, il s’est soudainement senti partir dans cet état léthargique.

« Il dit que son corps a commencé à se liquéfier, que ses membres sont devenus mous et poreux. Il voulait simplement fermer les yeux. Même avaler sa salive lui demandait un effort qu’il n’était pas sûr de pouvoir faire. Il a senti une pression importante à l’intérieur de sa tête et de ses oreilles. Le matin, il a refusé de sortir de son lit et de se nourrir. Son frère Savl a essayé de lui faire ingérer du Coca à la petite cuillère, mais le soda a coulé sur son menton », raconte la journaliste du New Yorker.

Après une semaine dans cet état, il a perdu cinq kilos. Au bout de quelques jours, ses parents l’ont emmené à l’hôpital où les médecins ont diagnostiqué un « syndrome de résignation ». Nourri à la seringue pendant plus de neuf mois, Georgi est finalement sorti de son apathie, quelques semaines après l’obtention d’un visa permanent par ses parents.

Un seul remède, l’assurance de rester en Suède

Malgré les études réalisées sur le sujet, les médecins n’ont pas trouvé d’explication à ce syndrome. L’extrême droite a longtemps assuré que les immigrés agissaient ainsi pour obtenir un visa, mais les médecins y voient la conséquence physique d’un mal-être psychique. « L’opinion de la communauté médicale, c’est que cette maladie est une réaction à deux traumatismes : le harcèlement dans le pays de naissance de l’enfant, et l’effroi, après s’être acclimaté à la Suède, de devoir rentrer. »
Le seul remède à ce syndrome, c’est l’assurance de rester en Suède. « Selon un document publié par le Swedish Board of Health and Welfare, le patient ne recouvrera la santé qu’en recevant une autorisation de résidence permanente en Suède », affirme la journaliste. Le réveil se produit en général entre quelques semaines et six mois après l’obtention d’un droit de résidence permanent.
En Suède, les symptômes de cette maladie ne font plus débat. Le syndrome est réel dans ce pays qui fait de l’accueil des migrants une question d’honneur. Pour le New Yorker, l’apathie de ces enfants y représente « le pire cauchemar de ce que pourraient devenir les plus vulnérables si le pays abandonne ses valeurs. »

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Dana Diminescu : aujourd’hui le migrant est connecté, et non plus un « déraciné »

Dana Diminescu : aujourd’hui le migrant est connecté, et non plus un « déraciné »
22/01/2016
Par Catherine Petillon
Un téléphone et les applications qu’il contient, une connexion web : voilà ce qui aujourd’hui ressemble à un kit de survie pour ceux qui doivent quitter leur pays. Désormais, les migrants sont « connectés ».
Pour Dana Diminescu, cela oblige à envisager différemment les migrations. La sociologue travaille depuis une quinzaine d’années sur la manière dont les technologies de l’information et des télécommunications changent les migrations.
Dana Diminescu dirige le programme « Migrations et numérique » à la Fondation Maison des sciences de l’homme. Elle est aussi enseignante-chercheuse à l’Ecole d’ingénieur Télécom Paritech :
Restitution écrite de l’entretien

Que sait-on aujourd’hui de la manière dont les migrants utilisent les outils numériques ?

Les migrants utilisent ces outils depuis un moment, mais la société ne se rend compte que maintenant de l’importance du phénomène. C’est en effet une transformation sociologique assez complexe, car les technologies de l’information et de la communication (TIC) ne touchent pas seulement la communication, mais tous les aspects de la vie d’un migrant. Je pense à tout son parcours depuis la formulation d’un projet de départ – qui peut commencer par une bonne recherche sur Google – jusqu’au voyage.
On voit bien aujourd’hui avec les flux de réfugiés sur les routes balkaniques à quel point le téléphone, avec toutes les applications qu’il contient, devient un kit navigateur utile qui les aide à s’organiser, à se sauver parfois. Cela les aide d’abord pour rester en contact – pour rassurer la famille, activer les réseaux d’amis – pour s’orienter, probablement aussi pour chercher des passeurs, se créer de nouveaux contacts et les garder.

Etre connecté, est-ce que cela change la manière de partir et mener à bien son périple ?

Je pense qu’aujourd’hui le migrant s’approche du navigateur. Il est de moins en moins déraciné, désormais, il est connecté. En sociologie, on parle de présence connectée, parce qu’une fois qu’on a un téléphone en poche, on est potentiellement joignable. Cela ne veut pas dire qu’on parle tout le temps ni que la connectivité signifie forcément la communication. Quand je parle de “migrant connecté”, je pense à tout ce qu’il porte sur lui et qui donne accès : cela peut être le téléphone, mais aussi une carte bancaire, une carte de transport, un passeport biométrique. Il s’agit d’un univers digital dans lequel nous évoluons tous, nous comme les migrants.

Justement, est-ce que cela implique quelque chose de spécifique pour les migrations ?

La transformation que je vois c’est qu’au fond on a longtemps travaillé sociologiquement avec l’image du “déraciné” ; on pense que le migrant est quelqu’un qui coupe les liens dans son pays d’origine, qui n’arrive pas forcément à les créer dans le pays où il arrive, et donc qu’il est l’acteur de cette “double absence” dont parle Abdelmalek Sayad dans ses travaux.
La figure de ce déraciné traverse toute la sociologie d’un siècle mais aussi la manière politique de gérer les migrants aujourd’hui. Or si l’on pense que c’est une personne équipée, peut-être que l’on peut penser un autre type de gestion. C’est-à-dire utiliser la traçabilité numérique non pas uniquement pour contrôler les migrants, mais aussi pour les aider, leur proposer d’avantage de services, comme le font quelques start-up innovantes.

Vous parlez d’une double présence des migrants

Oui et même de présence multiple. La présence se joue ici dans le lien que les migrants entretiennent avec les familles ou les réseaux proches qui ne sont pas forcément dans le pays d’origine. Le fait de pouvoir parler quasiment gratuitement, de se voir en plus – grâce à Skype – fait que l’on passe d’une communication qui supplée l’absence à une façon de vivre ensemble à distance. Et ça c’est un grand changement. Le lien existait entre le migrant du XIXe et sa famille, et il était fort. Mais avec les nouvelles technologies, ce lien est cultivé, pratiqué, expérimenté, d’une manière quotidienne.

Cela change quoi ?

Cela les aide à garder le contact. Même si on peut aussi voir des cas de ghettoïsation et de renfermement, de manque d’ouverture vers la société d’accueil. Cela devient aussi quelque chose qui pèse sur le migrant. Car la famille qui est loin attend des nouvelles : raconter sur Facebook, au téléphone, tout cela devient le premier travail du migrant.

En quoi le numérique change-t-il aussi la notion même de frontière ?

Oui, la frontière Shengen c’est d’abord une forteresse digitale. La franchir, c’est passer par un ordinateur. Un jour, un migrant qui m’a dit :

“à la frontière, ils m’ont cherché sur l’écran, ils ne m’ont pas vu, ils m’ont laissé passer”.

C’était en 1999, et c’est là que j’ai compris que la frontière n’est plus une frontière géographique, elle est une frontière informatique et avant d’arriver sur le territoire de destination il faut passer par le fichier de délivrance des visas d’un consulat dans le pays d’origine, par un ordinateur à la frontière réelle ou dans l’ordinateur d’un agent de police. La frontière devient ubique et individuelle.

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