Narcisse

Narcisse est né à Thespies en Béotie, région de la Grèce, né de la nymphe Lyriopi et de la rivière Kifissos. Narcisse a une beauté divine, sa chevelure est comparée à celle d’Apollon, mais il méprise Éros et ses amants. Ameinias lui fait des avances mais Narcisse le rejette et le provoque, en lui envoyant une épée. Le jeune amoureux se suicide avec, devant la porte de Narcisse, en implorant la vengeance du dieu.  Les habitants de Thespies honorent Éros dans les cérémonies publiques et lui sacrifient dans des rituels. Il y a aussi la culte au démon « Antéros », qui est le vengeur de l’amant repoussé. Éros, l’amour réciproque, a un double symétrique, Antéros qui est le châtiment qui répond à la faute. Mis en scène des opposés, naturellement l’amour et la mort.

L’histoire de Narcisse met en jeu l’identité et l’altérité. Narcisse aime lui même et pas autrui, il devient amant de lui même. L’objet aimé devient sujet aimant, il est pris au piège de cette clôture d’identité, frappé par le même châtiment qui inflige à Ameinias. L’homosexualité dans l’antiquité grecque a une fonction socialisante. Narcisse en refusant les avances de ses amants, s’ôte toute possibilité de chercher son image et son identité dans leurs regards. Finalement, il se trouve à la source, où il s’enferme vis à vis avec lui même. Les surfaces réfléchissantes naturelles, les miroirs aquatiques sont des eaux maléfiques où on risque la noyade. Les juments quand elles aperçoivent leur image dans l’eau, elles tombent malades, elles oublient de paître et périssent. Ce phénomène semble être une contagion érotique. Le remède est simple, on leur taille grossièrement la crinière, et en voyant leur laideur elles oublient l’image antérieur et guérissent… Il y a aussi la technique de la chasse avec un miroir afin de capturer les oiseaux qui se font piégés. Par exemple, les cailles à la saison des amours, qui se précipitent au piège, vers l’image qui apparait au miroir. C’est l’instinct sexuel qui les attirent, preuve qu’ils laissent leur sperme sur le miroir.

Dans le mythe il y a cette problématique de « voir » et de « savoir ». L’oracle est prononcé par Tiressias qui est aveugle mais obtient le don divinatoire: « il vivra, s’il ne se connait pas ». Ovide dans son livre « Métamorphoses », écrit l’histoire d’Echo qui se redouble sur le plan sonore le motif visuel du reflet. Condamnée par Héra pour bavardage et complicité d’adultère, elle n’est qu’un doublet appauvri dans les paroles d’autrui. Écho aime Narcisse et le poursuit. Lui, il la repousse, « plutôt mourir que m’abandonner à toi ». Nous avons deux motifs, l’image de la beauté qui ravit et l’image de la voix qui l’abusait. Écho est l’équivalent, sur le plan auditif du reflet qui captive le regard de Narcisse. Il y a parallélisme entre l’image vocale et l’image visuelle. Narcisse croit dialoguer avec son image mais ce qu’il voit n’est que l’ombre reflétée de son image, son fantôme. L’étymologie de son nom « Narké » signifie engourdissement. Le dédoublement agit comme une drogue, dont l’abus, une overdose entraîne sa mort. A la version de Paussanias, Narcisse a une sœur jumelle d’une apparence semblable. Il est alors amoureux de sa sœur; mais elle meurt. Il se rend à la source et il imagine qu’il la voit elle. Il cherche dans son reflet un remède à la souffrance causée par la perte de sa jumelle. Leur comportement est fusionnel et transgressif. Leur similitude efface l’identité de chacun. Ça nous ramène à l’identité des jumeaux qui se modèle sur l’autre. Narcisse ne peut pas s’arracher au monde féminisé de la petite enfance. Il est déjà parvenu à l’âge d’être amoureux, de se tourner vers autrui et sortir de l’univers familial. Mais ils continuent frère et sœur à vivre ensemble dans la clôture de l’inceste. Narcisse, donc face au miroir, cherche à recréer la dualité de la relation réciproque. Il s’agit d’une régression, révèlement de la relation incestueuse. Narcisse refuse à abandonner la part féminine de son enfance et il se noie. L’adolescent refuse de devenir masculin, en refusant de répondre à l’amour et la sociabilité. Dans une autre variante de la légende, (de poète latin Pentadius), sa sœur est remplacée par le père, un père absent, une autre catégorie du double. C’est en cherchant à voir son père, le fleuve, que Narcisse découvre dans l’eau son propre visage, une analogie entre le reflet du miroir et la duplication de la reproduction sexuée.

La faute de Narcisse est de refuser une ouverture sur autrui, une étape indispensable vers la reconnaissance de soi. Il confond reflet et réalité. Il n’accepte pas la reconnaissance de l’autre, il préfère l’apparence à la réalité. La faute du jeune homme qui ignore l’indispensable retour par autrui, pour devenir lui même sujet, faute à demeurer objet.

L’effet narcotique attribué au narcisse mythique comporte deux pôles, l’un positif et calmant, l’autre négatif qui cause l’engourdissement mortel. La fleur narcisse borde la fontaine de vin où Dionysos attire la nymphe Aura pour l’endormir et la violer. Les vertus hypnotiques de la fleur amène la malheureuse victime du dieu à l’ivresse et la paralysie. La Persephone est séduite par la beauté de la fleur qui la piège. Hadès la vole, elle est engloutie sous terre. Le mythe de Déméter dramatise l’étape de l’arrachement de la fille à sa mère. Le mariage à un âge très jeune est une rupture brutale, un changement d’identité, de nom.

La problématique de Persephone est déplacée au féminin. La femme a le souci de sa beauté, son désir est tournée vers elle même, d’où la place du miroir, (3ème œil). La chance de l’amant est de pouvoir prendre la place du miroir. Il offre à sa belle un reflet rassurant, conforme à elle même. Le miroir fascine; c’est le lieu de toutes les fantasmagories, il offre accès sur les mondes de l’invisible. Le miroir fonctionne comme un l’opérateur de discrimination des sexes. Il joue un rôle déterminant dans la séparation et la réunion des hommes et des femmes. Il est interdit aux hommes, parce qu’il devient danger de fermeture sur soi, d’aliénation à un reflet qui est renvoyé par un objet et pas par un humain. L’interdit masculin du miroir symboliquement, rappelle le moment du sevrage, marque de coupure avec le monde des femmes. A partir d’un moment, on expulse le garçon hors du gynécée. Le miroir est réservé aux femmes. La femme objet, renfermée sur elle-même, chez elle. L’homme est un sujet, la femme un objet. Le miroir les sépare. Le miroir sert à préparer la femme à rencontrer l’homme. Elle devient proie à la passion bestiale de l’homme. Le désir de l’homme demande à être stimulé, et ce de la femme? Le désir de l’homme réside dans « le naturel » du corps. Ce de la femme exige un surplus de parure. La femme est donnée à voir. Pourquoi il faut qu’elle se voit elle-même? La femme doit se voir avant d’être vue; elle se place comme sujet et objet à la fois. Quand elle se marie renonce à ses jouets d’enfance et elle offre sa poupée à Artémis, afin de devenir femme. Plus tard, quand elle va avoir vieilli elle abandonnera son miroir à la divinité. Une femme qui se perd dans son miroir ne meurt pas mais elle devient folle. La femme est objet et sujet du regard de l’homme par l’intermédiaire d’un objet, un œil artificiel.