Face au suicide dans la police, comment l’entraide s’organise

Groupe Facebook
MIGUEL MEDINA via Getty Images
L’attaque de policiers à Viry-Châtillon avec des cocktails Molotov a été l’un des déclencheurs de la mobilisation des fonctionnaires et de leurs proches contre la souffrance au travail.

02/10/2019

Groupes Facebook, mobilisation des compagnes et compagnons, travail associatif en faveur de la santé mentale… Certains œuvrent depuis des mois contre la souffrance au travail.

Par Paul Guyonnet
SOUFFRANCE AU TRAVAIL – Les policiers de France et ceux qui les côtoient sont à bout. Selon un décompte tenu par des associations, le “compteur de la honte” de ceux qui se sont suicidés depuis le 1er janvier a déjà atteint 52 morts. Soit une dizaine de plus que sur toute une année dite “normale”. En réponse, l’intersyndicale a appelé à une “Marche de la Colère”, ce mercredi 2 octobre, dans les rues de Paris.
Mais sur Internet, les “collègues” comme ils aiment à s’appeler, n’ont pas attendu l’appel des organisations syndicales pour se mettre en ordre de marche face au suicide. Via des associations et surtout les réseaux sociaux, les initiatives pullulent pour prendre soin de la santé mentale des policiers. Et à chaque fois ou presque, elles émanent des concernés et de leurs proches.

Une “hotline” Facebook pour des policiers, par des policiers

“Regroupons-nous et tentons ensemble d’enrayer ce fléau qui nous touche tous de près ou de loin.”

Voici les quelques mots que découvre sur Facebook un internaute qui tenterait de rejoindre “SOS Policiers en détresse”, la page aux plus de 4500 membres lancée il y a moins d’un an. L’une des plus actives de la “flicosphère”.
À l’automne dernier, après un énième suicide dans la “boîte”– le surnom de la Police nationale –, plusieurs initiatives ont vu le jour sur Facebook. L’idée était notamment de donner naissance à une ligne verte qui serait tenue par des policiers, pour des policiers. Et au mois de novembre 2018, deux jours avant le suicide de Maggy Biskupski, la fondatrice de la MPC (pour Mobilisation des policiers en colère) qui alertait justement sur la souffrance dans la profession, le groupe “SOS Policiers en détresse” a été créé. Porté par ce hasard malheureux du calendrier, il a très rapidement grandi. Désormais, les membres s’impliquent, contribuent, interagissent.
Après avoir connu la détresse psychologique et même songé à la mort, un membre raconte au HuffPost qu’il a réussi à se reconstruire, plus fort encore. Et qu’il a décidé de mettre son expérience au service des autres. Depuis, il passe beaucoup de temps dans le groupe.

“Vu la solitude et la méfiance dans lesquelles je me suis trouvé à un moment, je me suis dit qu’il fallait que ce soit des flics qui aident des flics. Parce que personne d’autre ne peut le faire, parce que personne ne sait ce que c’est.”

Parmi les membres, tous n’ont pas connu personnellement la dépression, la détresse au travail, le burn out. Un policier contacté par le HuffPost explique par exemple avoir découvert ces maux par la souffrance de son épouse, qui évolue dans un tout autre milieu professionnel et qui a été arrêtée pendant de longs mois. Aujourd’hui, l’objectif est de faire avancer la cause, de peser au sein de la profession, de faire savoir aux collègues qu’ils ont un endroit où se confier et où trouver soutien et réconfort. “Dès le départ, le but était de découler sur une association”, nous explique un membre de la page. “De là à imaginer que j’allais rencontrer des gens qui allaient s’impliquer autant…”
Car aujourd’hui, de simple groupe de discussion, “SOS Policiers en détresse” est devenu un “safe space”, une “hotline” à même de répondre aux cas les plus délicats, un annuaire de spécialistes ainsi qu’une association loi de 1901.

“Pratiquement tous les jours, un collègue poste un truc pour dire que ça ne va pas. Et en deux-trois heures, il y a 60 à 70 commentaires pour dire que ça va aller, qu’il pourrait faire ci, ou ça…”, nous détaille un membre. “On se tend la main, on se prête une oreille attentive, on s’entraide dans différentes démarches. On fait ce qu’on peut pour se rassurer, pour s’assister.”

“J’ai appris qu’elle avait une lame de rasoir dans la main”

Un fonctionnement entre policiers qui produit de grands effets. “Il y a quelque temps, une collègue m’a sollicité pour me parler en pleine nuit, parce qu’elle n’allait pas bien”, nous raconte l’un des membres de “SOS Policiers en détresse”.

“Je discute un peu, et sentant qu’elle reprend le dessus et qu’elle se calme, on se quitte. Le lendemain, elle me recontacte pour me remercier, m’explique que je lui ai sauvé la vie. Lui répondant que je n’avais pas fait grand chose et qu’on avait juste discuté, ou plus précisément que je l’avais surtout écoutée, j’ai appris qu’elle avait une lame de rasoir dans la main et qu’elle voulait ‘juste voir couler son sang’. Depuis, elle va beaucoup mieux, et on est toujours en contact.”

Quelques mots, et une vie sauvée.

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Le burn-out reconnu comme une maladie par l’OMS

Le burn-out reconnu comme une maladie par l’OMS

Le classement international des maladies a été mis à jour le 25 mai 2019, à l’issue de la 72e Assemblée mondiale de la santé.

A l’occasion de sa 72e Assemblée mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a donc tenu à réviser son classement international des maladies (ICD-11) pour y inclure le burn-out. Cette révision sera effective dès le 1er janvier 2022.

« Des sentiments de négativité ou de cynisme liés au travail »

L’OMS définit le burn-out comme une pathologie « résultant d’un stress professionnel chronique qui n’a pas été géré correctement ». Selon l’organe de l’ONU, le burn-out a trois composantes :
« Des sentiments de perte ou d’épuisement »,
« une distance mentale accrue avec le travail ou des sentiments de négativité ou de cynisme liés au travail »,
• ainsi qu’une « diminution de l’efficacité professionnelle ».
A noter que l’OMS considère que le burn-out relève du champ « occupationnel ». En d’autres termes, il est forcément lié à la pratique d’une activité, et peut donc être rattaché au travail comme à l’éducation des enfants (on pourrait théoriquement parler de burn-out parental). En revanche, les simples troubles anxieux, par exemple, ne pourront être considérés comme des burn-out.

Entre 30.000 et trois millions de Français concernés

Cette décision de l’OMS intervient après les propos de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, qui relativisait l’existence de cette pathologie. Elle avait en effet affirmé au micro de France Inter le 7 mai que le burn-out « n’était pas une maladie professionnelle », car il ne faisait pas partie, à l’époque, de la classification de l’OMS. Le 22 octobre 2017, la ministre de la Santé Agnès Buzyn avait tenu des propos similaires. « Aujourd’hui, il s’avère que ce n’est pas une maladie. C’est un ensemble de symptômes et, donc, c’est très difficile de décider que c’est une maladie professionnelle », avait-elle affirmé.
En France, les estimations qui circulent sur le nombre de personnes touchées vont de 30.000 personnes, selon l’Institut de Veille Sanitaire (InVS), à trois millions, selon un cabinet spécialisé dans la prévention des risques professionnels. La maladie touche en outre tous les milieux : secteur tertiaire, agriculteurs, médecins, ouvriers…
N’étant pas clairement défini, le burn-out est souvent sous-estimé, voire considéré par les employeurs comme un état dépressif lié à des causes personnelles. Il est par ailleurs difficile de faire la part des choses entre des symptômes comme la fatigue ou le mal-être au travail et ce qui relève de la pathologie.

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