Suicide dans la police : une fille de policier témoigne

14 NOV. 2017
PAR LAETITIA NONONE

Cela fait quelque temps que je réfléchis à écrire une tribune sur le suicide des policiers et plus largement au sein des forces de sécurité. Quand mon père a fait sa deuxième tentative de suicide avec son arme de service j’étais trop jeune, 14 ans. Quelques années plus tard, j’essaie de trouver des explications mais j’ai toujours besoin de comprendre…

Il y a 2 jours, le journal Le Parisien titrait :  « Un gardien de la paix découvert mort au pied de l’hôtel de police de Nanterre » – un titre certes accrocheur mais d’une telle violence pour les personnes concernées ! À chaque fois que les medias relaient ce type d’information dans les faits divers j’ai tout de suite envie d’adresser mon soutien à la famille. « Qu’un policier le fasse ici, c’est un symbole fort exprime un de ses collègues. » Quand je lis dans l’article que ce monsieur avait 29 ans, une famille… Comme toujours, on va chercher à connaître les fragilités de sa vie. Etait-il en couple ? Avait-il des enfants ? Était-il en détresse familiale ? Divorcé ? Et après avoir posé toutes ces questions on va se pencher, mais pas trop, sur les conditions de travail des policiers et les éventuels dysfonctionnement organisationnel du commissariat.

Bien évidemment, de l’intérieur, on essaye d’esquiver le sujet, hormis quelques personnes et quelques syndicats. Il est temps d’avoir une véritable réflexion sur ce phénomène de souffrance au travail qui existe dans tous les corps de métiers, mais encore plus au sein de la police.

Au moins 39 fonctionnaires de police se sont suicidés depuis début 2017 (source France Bleu). Les policiers sont les reflets de la société, une société malade avec un taux de suicide élevé. L’arme de service est utilisée dans un cas sur deux lors de ces passages à l’acte. 1133 policiers se sont suicidés ces 25 dernières années, ce qui en fait une des professions les plus durement touchées par le phénomène : le taux de suicide est trois fois plus important que dans les autres professions.

Un plan d’action avait pourtant été mis en place par le ministère de l’Intérieur en 2014, mais les attaques terroristes perpétrées sur le territoire français depuis 2015 et l’Etat d’urgence qui s’en est suivi ont compliqué son application. L’Ile-de-France, qui concentre un tiers des effectifs de terrain (36.000 policiers), est la région la plus touchée (Source: RT France). L’éclatement de la sphère familiale est parfois un déclencheur, mais la mauvaise gestion des ressources humaines est souvent le détonateur. Alors, oui je suis la fille d’un flic, comme vous vous en doutez. En banlieue, ce statut n’a pas que des avantages, voire aucun par moment, malheureusement je n’ai appris à vivre qu’avec les inconvénients… Mon papa, martiniquais, est venu en métropole à l’âge de 18 ans pour entrer en école de police. Pour beaucoup d’Antillais entrer dans la fonction publique est un gage de sécurité, ils se disent qu’ils auront du travail à vie, quitte à laisser derrière eux toute une famille et leur pays natal ; ils sont persuadés que cela vaut le coup… que la métropole est un Eldorado, un bel endroit pour construire une famille.

Mon père a eu une longue carrière au sein de la police nationale, plus de 20 ans de bons et loyaux services ; c’était un « bon » policier, souvent félicité et encouragé par ses supérieurs hiérarchiques. Etre policier c’est porter le poids de l’actualité sur son dos. Chaque évènement festif ou politique devient très vite un évènement angoissant, stressant, qui pompe l’énergie du policier et de toute sa famille. Mon père rentrait souvent épuisé de ses longues journées de travail et vers la fin de sa carrière souvent alcoolisé. Il m’arrivait souvent de l’espionner le matin, lorsqu’il chargeait son arme, et la mettait à la ceinture ; le voir mettre son uniforme me fascinait. Mon père était un homme déterminé et fier, mais j’ai pu constater que cette détermination s’effilochait au fil du temps. Il parlait peu de son travail, et les rares fois où il le faisait, c’était sous l’effet de l’alcool ; il en parlait de plus en plus agressivement de ce travail qu’il aimait tant…

A l’époque, je me demandais ce qui avait poussé mon père à faire ses multiples tentatives de suicides. Qu’est-ce qui pousse un homme à vouloir mettre fin à sa vie ? Aujourd’hui, je sais que cette fonction a détruit mon père à petit feu. Comment une profession peut-elle rabaisser un homme ? Comment ce métier peut-il arriver à emprisonner des hommes et des femmes dans une profonde dépression ? A cette époque, j’en voulais à mon père. Je me suis posée beaucoup de questions mais je n’avais personne à qui parler ; ces questions sont restées dans ma tête pendant toute mon adolescence.

Ce n’est qu’une fois adulte, que j’ai repris confiance en moi pour enfin réussir à me poser les bonnes questions. C’est un paradoxe d’avoir un père policier… incarcéré. Aucun adulte, ni aucun ami ni aucun de ses collègues n’a pu écouter ni même voir la détresse de mon père ; pourtant à la maison elle sautait aux yeux.

Aujourd’hui je suis une militante associative, j’œuvre dans la prévention de la délinquance en encadrant et en responsabilisant des jeunes en difficulté. Je m’implique au sein du CNV, de la coordination nationale Pas sans Nous et de l’observatoire de la fraternité 93. Je me lance aussi dans un projet de relation police/population avec le collectif PoliCité. Désormais je sais que comme partout, il y a des bons et des mauvais flics.

Le nombre de suicides augmente au même titre que les bavures policières. Plus que jamais nous devons travailler sur la cohésion nationale, mais rien ne se fera sans la volonté des membres du gouvernement. Il y a beaucoup de choses à revoir en interne, notamment en ce qui concerne la formation, la communication entre les policiers et la population, sans oublier la prise en charge psychologique des agents. Aujourd’hui plus que jamais nous devons libérer la parole des policiers, des familles de policiers et des victimes de bavures policières, auditionner tous ces acteurs afin de comprendre cette dynamique d’auto destruction et de destruction des autres.

Ce que je propose dans l’immédiat est la création d’un collectif de familles d’agents de forces de sécurité qui ont été confrontées au suicide ou à la tentative de suicide de leur proche. Il faut fédérer toutes ces familles afin d’être entendu, d’échanger et d’apprendre à vivre avec. A l’image des travailleurs sociaux des processus d’expérimentations d’analyse des pratiques dans les métiers de forces de sécurité pourrait être mis en place. Il est impératif que l’Etat prenne en considération les retours du terrain et les besoins de prise en charge psychologique. Il en va de la santé de notre démocratie et de ceux à qui nous demandons d’être les gardiens de la paix.

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