Freud – L’expertise de la Faculté au procès Halsman

Auteurs : FREUD Sigmund
Presses Universitaires de France / Coll. Bibliothèque de psychanalyse (Editeur )
Date de parution : 1985
Nbre/N° de page : p. 187-190
ISBN : 2 13 0391680

Documents : L’expertise de la Faculté au procès Halsman, in

Passage à l’acte

(version de travail d’un article à paraître dans un Dictionnaire de la violence aux PUF, sous la direction de Michela Marzano)

Le passage à l’acte est le paradigme d’une violence inopinée, incoercible et catastrophique. La puissance évocatrice de l’expression est telle qu’elle tend cependant à faire oublier la complexité, voire les contradictions, de ses usages en criminologie (Pinatel en faisait l’objet par excellence de la criminologie avant que le tournant sociologique de la criminologie ne fasse prévaloir le paradigme de la « réaction sociale ») et en psychanalyse. Toutefois, il serait maladroit de supposer que ses différences d’acceptions tiennent à la simple variété empirique du matériel clinique ou criminologique rangé sous le concept de passage à l’acte. Car un acte ou une action n’est pas un observable empirique, puisque le mouvement ou le geste en quoi ils consistent la plupart du temps (pas toujours comme on va voir) ne sont tenus pour un acte ou une action que si on leur suppose une intention sous-jacente, intention qui ne peut pas être caractérisée sans le recours à une interprétation, à un contexte, ou à un ensemble d’hypothèses d’ordre théorique. Une décharge motrice lors d’une crise d’épilepsie, même si elle provoque par accident la mort d’un proche du malade, et même si elle ne consiste en un ensemble de gestes bien articulés, ne sera pas tenue pour une action au sens strict, et certainement pas pour un passage à l’acte. La même séquence motrice aboutissant au même résultat catastrophique, mais surgissant au décours d’une crise d’angoisse dans un contexte délirant chez un psychotique halluciné, si. De façon au moins aussi significative, toujours la même séquence motrice meurtrière chez un individu normal, ni épileptique ni psychotique, mais « débordé » par un soudain accès de passion, peut aussi parfois être considéré comme passage à l’acte. L’intentionnalité qui s’ajoute à la violence de la décharge motrice est donc le problème. C’est clair si l’on observe que dans un passage à l’acte, il faut que l’occasion soit saisie. Or une pure décharge motrice ou une impulsion aveugle ne tiennent pas compte des circonstances. Il faut donc qu’il y ait assez d’intentionnalité pour que l’explosion motrice soit tenue pour un acte, que, d’un autre côté, il faut que l’intentionnalité de l’auteur supposé de l’acte soit mise d’une façon ou d’une autre en défaut dans son passage à l’acte, si nous voulons faire droit à l’intuition qu’il s’agit d’une forme d’action incoercible, quoique non automatique, et dont le sujet véritable manque, bien qu’il y ait tout à fait un agent physique présent pour l’accomplir. Il est tout à fait possible que la personne qui passe à l’acte connaisse un temps d’obnubilation de la conscience. Mais ce n’est pas obligatoire. On peut concevoir des situations où elle assiste en toute conscience, mais avec horreur, à son propre passage à l’acte. Nombreux, à cet égard, sont les témoignages de survivants de leur propre suicide. C’est moins donc la conscience que le sentiment d’être entraîné dans un plan d’action catastrophique, et de l’agir plus ou moins à son corps défendant, et en tout cas avec surprise, qui est au cœur de la difficulté. C’est la raison pour laquelle la notion de passage à l’acte, dans la grande variété d’acceptions qu’on en rencontre, permet de révéler les présupposés de la théorie de l’action et de l’intention sous-jacente à chacune de ses définitions. Ces présupposés sont loin d’être uniformes tant en psychiatrie, qu’en criminologie et en psychanalyse. C’est la raison pour laquelle le passage à l’acte, s’il existe (autrement dit s’il n’est pas un terme sanctionné par la culture, qui viendrait simplement masquer un défaut de nos conceptions de l’agir), peut aussi remettre en cause les conceptions philosophiques standards de l’action, dans la mesure où elles sont rarement capables de lui accorder une place.

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Sigmund Freud – Les criminels par sentiment de culpabilité

Logo-In-Libro-VeritasDes personnes fort honorables, en me racontant leur jeunesse, en particulier les années de leur prépuberté, m’ont souvent rapporté qu’elles s’étaient alors rendues coupables d’actions illicites, tels que vols, tromperies, voire actes incendiaires. J’avais coutume de ne pas m’embarrasser de ces données, me disant que la faiblesse des inhibitions morales à ce moment de la vie était bien connue, et je n’essayais pas de les faire rentrer dans quelque ensemble plus important. Mais je fus finalement amené, en présence de cas plus francs et plus démonstratifs, en face de délits semblables commis par des malades pendant qu’ils étaient en traitement chez moi (il s’agissait d’individus ayant dépassé la prépuberté), à une étude plus approfondie de ces cas. La recherche analytique permit alors de faire cette surprenante constatation que ces actes avaient été commis avant tout parce qu’ils étaient défendus et parce que leur accomplissement s’accompagnait pour leur auteur d’un soulagement psychique. Leur auteur souffrait d’un oppressant sentiment de culpabilité de provenance inconnue et, une fois la faute commise, l’oppression en était amoindrie. Tout au moins le senti­ment de culpabilité se trouvait-il rapporté à quelque chose de défini.
Si paradoxal que cela puisse paraître, il me faut dire que le sentiment de culpa­bilité préexistait à la faute : ce n’est pas de celle-ci qu’il procédait, mais au contraire la faute procédait du sentiment de culpabilité.

On pouvait à bon droit taxer ces per­sonnes de criminelles par sentiment de culpabilité. La préexistence de ce sentiment avait naturellement pu être démontrée par toute une série d’autres manifestations et effets.
Mais la constatation d’une chose curieuse ou étrange ne saurait constituer un objectif suffisant de recherche scientifique. Deux questions restent à résoudre : d’une part, d’où provient l’obscur sentiment de culpabilité préexistant à l’acte ? d’autre part, est-il probable qu’une causation de ce genre entre pour une notable part dans les crimes des humains ?
Une réponse à la première question projetterait peut-être quelque lumière sur la source du sentiment de culpabilité des hommes en général. Or, la recherche psycha­nalytique nous fournit régulièrement la même réponse : cet obscur sentiment de culpabilité provient du complexe d’Œdipe, il est une réaction aux deux grandes intentions criminelles, celles de tuer le père et d’avoir avec la mère des relations sexuelles. Par rapport à ces deux crimes, ceux en, suite commis afin que se fixe sur eux le sentiment de culpabilité constituent un soulagement pour le malheureux. Il faut se rappeler ici que le parricide et l’inceste maternel sont les deux grands crimes des hommes, les seuls qui, dans les sociétés primitives, soient poursuivis et exécrés. Et nous rappeler encore que d’autres de nos recherches nous l’ont fait admettre ; l’humanité a acquis sa conscience morale, qui semble aujourd’hui être une force psychique atavique, en fonction du complexe d’Œdipe.
La réponse à la seconde question déborde la recherche psychanalytique propre­ment dite. On peut, sans aller bien loin, l’observer : nos enfants se font souvent « méchants » afin qu’on les punisse et, après la punition, ils sont calmes et satisfaits.
Une investigation analytique ultérieure nous met fréquemment sur la trace du sentiment de culpabilité qui les a poussés à rechercher la punition. Parmi les crimi­nels adultes, il faut, certes, écarter tous ceux qui commettent des crimes sans éprou­ver de sentiment de culpabilité, ceux qui, ou bien ne possèdent aucune inhibition morale, ou bien qui se croient autorisés à agir comme ils le font dans leur lutte contre la société. Mais chez la plupart des malfaiteurs, chez ceux pour lesquels, en somme, sont faites les lois pénales, il se pourrait qu’une semblable motivation du crime puisse entrer en ligne de compte, éclairer bien des points obscurs de la psychologie du criminel et donner aux peines une base psychologique toute nouvelle.
Un ami m’a fait observer que le « criminel par sentiment de culpabilité » n’était pas non plus inconnu à Nietzsche. La préexistence du sentiment de culpabilité et l’emploi de l’acte pour rationaliser ce sentiment transparaissent dans les paroles de Zarathoustra : « Du pâle criminel ». De futures recherches montreront combien de criminels en général il convient de ranger parmi ces « pâles criminels ».
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