La culpabilité du point de vue des auteurs par Magali Bodon-Bruzel

Trauma-et-résilience

Magali Bodon-Bruzel (dans, Coutanceau, Smith et Lemitre, 2012, p. 404) explique la culpabilité du point de vue des auteurs :

Les aspects de stress post-traumatique sont évidents cliniquement si l’on se réfère à l’ensemble du cortège symptomatique. Leur expression symptomatique est classique mais une marque spécifique est retrouvée. Le psychotraumatisé est à l’origine de ce qui s’est passé : il a lui-même réalisé cet acte qu’il repère maintenant dans sa conscience comme étant une métaphore de l’horreur. Contrairement à l’impact traumatique des faits sur la victime, ici l’impact du trauma psychique est doublé d’un ressenti de culpabilité extrêmement 
important. Il est vrai qu’on peut retrouver des problématiques de culpabilité quelquefois pour les victimes (« comment ai-je pu me retrouver dans cette 
situation ? c’est ma faute… »), mais dans le cas où il s’agit bien de l’auteur, la culpabilité ne s’est pas supposée ou imaginaire : il ne s’agit plus de reproches mais de remords, ce qui donne une coloration sombre et très particulière à la clinique.
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Une trace sans mots par Liliane Daligand

Daligand, Liliane (2012).« L’enfant abusé et sa parole annulée », Champ psy, 2012/1 n° 61, p. 93-107.

C’est le règne des sensations, du « sensationnel » sans mots. L’abus sexuel, le viol, l’inceste sont toujours des histoires sans paroles. Là où « ça ne parle pas », les sensations, parfois extrêmement fortes mais qui s’évanouissent en laissant la morsure d’une trace sans mots, exigent leur réapparition par l’excitation charnelle tant du côté des auteurs que parfois du côté même des victimes. C’est l’affrontement à vif de sensation à sensation, de chair à chair, de chair en chair, dans la totale confusion des personnes, le non-respect des exigences de la Loi : « Tu n’es pas l’autre : tu ne peux te confondre avec la chair de l’autre, le sexe de l’autre. »

…/…

cette castration massive par l’interdit de l’inceste n’est pas une répression mais une ouverture à ce qui parle. L’enfant, pour garder lien d’amour avec ses parents dont il est radicalement coupé, est invité à leur parler. Cette opération de coupure place l’enfant dans la génération.
Le père, dans sa fonction métaphorique (père de l’origine), passe alors à l’opération de la nomination. Nommer son enfant, le désigner sous des phonèmes, n’est pas le qualifier, le décrire comme une chose, mais lui donner sa place parmi les mots et les règles du langage, car le nom est un signifiant sans signifié.
L’enfant va pouvoir parler en son nom. Ce n’est plus seulement la pulsion qui le porte, c’est le langage qui le fait assumer la position de sujet de la parole.
Le langage et la parole ne sont donc possibles que si l’enfant est placé dans la différence. La parole est le lien entre deux personnes, entre deux êtres radicalement différents, dont l’imaginaire ne peut rendre compte. À chaque rencontre, l’un et l’autre, l’autre et l’un, le je et le tu sont irréductibles. Cette dualité renvoie cependant à l’unité car l’un et l’autre, dans leur différence, réfèrent à l’Un de l’origine, dont chacun provient.
Le montage culturel des générations représenté par la généalogie et la filiation en sont une démonstration constante.
Chaque fois que l’homme parle, qu’il s’adresse à un autre, la parole n’est possible que parce qu’originaire. L’homme parlant est ainsi tenu dans le monde par son lien à l’origine. La force d’existence s’appuie sur la solidité du lien à l’Origine.
Plus un homme est arrimé à cette place symbolique qui lui est propre, plus il est résistant aux agressions, à la violence, aux traumatismes.