Yann Moix, le révisionnisme familial face à la maltraitance

Yann Moix, ou l’exemple remarquable du révisionnisme familial face à la maltraitance
Les blogs
27/08/2019
Ce que les débats actuels autour du témoignage de Yann Moix révèlent c’est cette incapacité de notre société à penser la réalité de la maltraitance des enfants.
Par Hélène Romano
Docteur en psychopathologie au CHU Henri Mondor à Créteil

Ma pratique clinique s’inscrit en lien avec des activités de recherche et des partages de connaissances : conférences, enseignements dans différentes universités, colloques scientifiques, publications de près de trente livres et parution de plus de 300 articles dans des revues scientifiques référencées et des journaux grand public.

Le père et le frère dénoncent des allégations mensongères

La publication récente du dernier ouvrage de Yann Moix relatant les violences qu’il aurait subies dans son enfance. Cela a immédiatement conduit son père puis son frère à s’insurger. Ils dénoncent des allégations mensongères. Il n’aurait rien subi de grave. Il aurait tout inventé et ce serait lui qui aurait commis des violences de toutes sortes sur son frère ; son père n’ayant pas eu d’autres solutions que d’être “sévère” à son égard.
Les exemples des sévices cités par Yann Moix sont tellement impensables qu’ils nous confrontent à l’indicible et qu’il est bien plus supportable, psychiquement, de se dire qu’ils n’ont pas été commis. De victime, il devient donc “menteur”, “affabulateur”, “enfant ingrat face à des parents qui expliquent l’avoir assisté financièrement pendant des années”, etc.

Pourtant…

La prise en charge des enfants maltraités nous permet de savoir combien ce type de violences existe. Si souvent aucun professionnel n’intervient par banalisation, crainte de représailles, difficultés à croire que des parents qui paraissent si adaptés puissent dans le huis-clos de leur famille devenir de véritables bourreaux. Ces enfants grandissent donc comme ils le peuvent et dans un isolement total. Certaines fois en agissant sur leur fratrie ou sur leurs pairs des violences pour se dégager de l’impact traumatique des violences subies. Que Yann Moix soit accusé par son frère de violences n’est donc pas si surprenant s’il subissait des maltraitances parentales. Ces actes ne seraient qu’un symptôme réactionnel à ce qu’il subissait.

Le retournement de la culpabilité

Ce qui est significatif dans les débats actuels c’est ce retournement de la culpabilité sur celui qui révèle. Il devient désormais le mauvais objet, celui qui ose dire la vérité et qui va payer très cher pour cela.
Combien d’enfants malmenés, maltraités voire abusés dans des familles “bien sous tout rapport”, se retrouvent à l’âge adulte totalement rejetés par leur famille. Ils sont réduits à l’état d’objet expiatoire de proches incapables de la moindre remise en cause ?

Le révisionnisme familial conduit les parents à ne jamais se remettre en cause.

Ils affirment que leur enfant est un menteur, qu’il “exagère”. Ils prétendent qu’il a de faux souvenirs voire affirment qu’il présente des troubles psychiatriques. Stratégie identique relevée chez les auteurs et chez les avocats de personnes mises en cause dans des violences faites aux enfants.
Ce que les débats actuels autour du témoignage de Yann Moix révèlent c’est cette incapacité de notre société à penser la réalité de la maltraitance des enfants. Derrière les beaux discours politiques et les innombrables campagnes dites de prévention menées, la réalité sur le terrain reste la même. Elle est celle d’enfants sacrifiés au déni sociétal, d’adultes maltraités, d’enfants condamnés au silence et d’auteurs impunis.

Cette réalité dérange.

Elle conduit tant d’enfants et d’adultes maltraités à se taire, se mettre en danger, se faire souffrir par des conduites addictives de toutes sortes.
Yann Moix a survécu, à quel prix ? Seul lui le sait. Mais tant d’autres n’ont pas eu cette force. Ils ont terminé entre quatre planches de sapin par désespoir d’être rejetés, incompris. Ils sont irrémédiablement étrangers à ce monde qui ne veut pas entendre réellement leur souffrance. Combien d’enfants sacrifiés faudra-t-il encore pour que notre société prenne enfin soin des enfants maltraités ?
Révisionnisme familial face à la maltraitance

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Enfance en danger – Inceste : le pavé dans la mare d’une pédopsychiatre

Logo-actu-ToulouseEnfance en danger, inceste : le pavé dans la mare d’une pédopsychiatre toulousaine
27/04/2016

La pédopsychiatre toulousaine Eugénie Izard a co-dirigé le livre « Danger en protection de l’enfance », dans lequel de nombreux professionnels dressent une situation explosive.

« Dans les situations de maltraitance et/ou de séparation du couple en France, il est de plus en plus difficile de protéger un enfant. » L’avertissement est signé de la pédopsychiatre toulousaine Eugénie Izard, qui a co-dirigé, avec la psychologue clinicienne Hélène Romano, un livre choc sur l’état de la protection de l’enfance dans l’Hexagone intitulé Danger en protection de l’enfance : dénis et instrumentalisations perverses.

Justice et parole de l’enfant « instrumentalisées »

Présidente du réseau national Reppea (Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence), le docteur Izard, l’une des dix spécialistes à contribuer à l’ouvrage (en compagnie d’un autre Toulousain, le psychologue Illel Kieser ‘L Baz), est habituée à mettre les pieds dans le plat sur ce sujet tabou, ce qui lui vaut quelques inimitiés chez certains de ses confrères.

« L’idée du livre est partie d’un colloque organisé sur le sujet en avril 2015 au Cese (en fait le Ceser, le Conseil économique, social et environnemental, ndlr) à Paris. Sur le terrain, nous constatons que les enfants n’ont jamais été aussi maltraités et ne sont pas protégés comme ils le devraient. Les procédures judiciaires et la parole de l’enfant sont instrumentalisées et on constate une méconnaissance du développement de l’enfant et de ses fonctionnements psychiques, dit-elle. »

40% des enfants suspectés de maltraitance protégés

Plusieurs chiffres brossent un tableau édifiant dans le contexte d’une France encore traumatisée par le scandale de l’affaire d’Outreau. Selon un sondage du Reppea effectué en 2014, « la réponse judiciaire ne protège que 60% des enfants signalés par des professionnels très sensibilisés à ces phénomènes. Lesquels professionnels n’avaient eux-mêmes signalé que 60% des enfants suspectés ».

« Au final, seulement 40% des enfants suspectés de maltraitances par des professionnels hautement spécialisés (psychologues d’enfants, pédopsychiatres…) sont protégés », regrette Eugénie Izard. Autre étude, outre-Atlantique cette fois-ci : en 2004, un professeur de l’université de Harvard, aux États-Unis estimait que, dans « 54% des dossiers qui impliquaient de la violence documentée, la garde des enfants était confiée à l’agresseur ».

« Dérives idéologiques »

Sensibilisée depuis plus de 15 ans aux problèmes de la protection de l’enfance et à la maltraitance, la pédopsychiatre de la Ville rose se démène depuis des années pour faire bouger le curseur. Et les concepts figés. La croisade contre la généralisation béate et l’application mécanique de la garde alternée, c’est elle – « les besoins de l’enfant ne sont pas respectés. Imposer des systèmes qui ne sont pas adaptés aux besoins sont une forme de maltraitante et de totalitarisme imposé aux enfants ». La dénonciation du SAP (Syndrome d’aliénation parentale), c’est aussi elle et tous ses collègues contributeurs du livre.

« Des dérives idéologiques inondent le champ de la protection de l’enfance depuis plusieurs décennies au travers de l’utilisation de concepts comme le SAP, les théories des faux souvenirs qui ont à nouveau culminé dans le dernier procès d’Outreau, le syndrome de Münchhausen, dont on détourne régulièrement la définition ainsi que toute autre théorie anti-victimaire ne reposant sur aucune méthodologie diagnostique validée. »

Le point noir de la protection de l’enfance, Eugénie Izard y est confrontée tous les jours. Son agenda noirci de rendez-vous en est le parfait témoin : ce sont les violences sexuelles et les phénomènes d’inceste, très nombreux. Trop nombreux. « Concernant l’inceste, nous n’arrivons que rarement à les suivre sur du long terme, le parent incestueux s’y opposant lorsque l’enfant n’est pas protégé, ce qui demeure souvent le cas. »

Les chiffres du fléau

Selon une étude IVSEA (Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte) 2015, 154 000 mineurs ont été victimes de violences sexuelles (viols ou tentatives de viol) en France, 81% des victimes ont subi leurs premières violences de cette nature avant 18 ans. Pire : 83% des enfants victimes de violences sexuelles disent avoir été contraints au silence et abandonnés à leur sort, 4% seulement rapportant avoir bénéficié d’un suivi par les services de la protection de l’enfance… Pour l’AIVI (Association des victimes d’inceste), 50% des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont fait des tentatives de suicide.

Selon le docteur Izard, « 10% de la population française subit ou a subi des violences sexuelles dans sa vie. Les enfants que je vois sont en souffrance. Sur la trentaine que je suis avec assiduité, au moins un des deux parents a un trouble grave de la personnalité ou l’enfant a déjà subi des violences dans la très grande majorité des cas. Paradoxalement, quand il y a des coups, les personnes sont mieux protégées car plus visibles. Il faut être solide pour affronter ces réalités sordides ».

Pour une vraie formation des professionnels

Afin que les professionnels soient mieux préparés à ces « réalités sordides », la spécialiste toulousaine préconise une vraie formation – « actuellement, les médecins et professionnels de santé ne sont toujours pas formés sur les violences » – et un travail pluridisciplinaire.

« À tous les niveaux, entre les juges, les avocats, les psychiatres, nous rencontrons des incompréhensions car nous ne parlons pas le même langage. Personnellement, je suis favorable à une juridiction pluridisciplinaire spécialisée dans ce domaine. En Angleterre, il existe des procureurs spécialisés dans les violences sexuelles. Leurs équipes sont spécifiquement formées pour lutter contre les stéréotypes et les mythes qui entravent la justice dans la protection des enfants. »

« On touche à des idéaux »

Danger en protection de l’enfance interroge des faits de société graves, mais courants. Des agressions banales mais peu abordées. Mais surtout, et plus largement, un entremêlement de la justice et des pouvoirs publics qui vira au sac de nœuds pour ceux qui se trouvent dans l’engrenage.

« Parler des failles de la protection de l’enfance, des violences sexuelles, des manipulations, c’est toucher à des idéaux, au mythe des parents parfaits. Et une société déprimée a besoin de s’accrocher à des idéaux. »

Danger en protectionDanger en protection de l’enfance : dénis et instrumentalisations perverses, co-dirigé par le docteur Eugénie Izard
Éditions Dunod. 170 pages. 19,90 euros.
Informations sur le site www.reppea.org

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