Outreau : ma réponse de « pseudo-sachant » aux vrais « méprisants » – Maurice Berger

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Pédopsychiatre et psychanalyste
Publication : 03/06/2015 07h11 CEST

Logo-Huffington-postJUSTICE – Dans sa chronique judiciaire du Figaro du 19 mai 2015 consacrée au procès de Rennes, suite du procès de « Saint-Omer-Outreau », Stéphane Durand-Souffland évoque les « pseudo-sachants » cités par les avocats des parties civiles. Je me considère comme faisant partie de ces pseudo-sachants et souhaite répondre à ce terme méprisant.

Au cours du procès de Saint-Omer, la défense a fait intervenir un « sachant », le Dr Paul Bensussan qui n’est pas pédopsychiatre. Il a évoqué les problèmes de fiabilité concernant les déclarations des enfants qui affirment avoir subi des abus sexuels. Au CHU de Saint-Etienne, j’ai dirigé pendant 35 ans un service de pédopsychiatrie spécialisé dans la prise en charge des enfants négligés et/ou maltraités, appelés communément enfants carencés. Tous ont été suivis pendant plusieurs années en hospitalisation à temps complet et/ou en hôpital de jour chaque fois avec un temps d’entretien individuel quotidien, et en placement familial spécialisé. Du fait de ce mode de soin d’une intensité unique en francophonie, Québec inclus, les recherches de cette équipe ont acquis une réputation internationale. Par ailleurs, j’ai été professeur associé de psychopathologie de l’enfant à Lyon, membre de plusieurs commissions interministérielles concernant la protection de l’enfance, et sollicité par le Sénat et l’Assemblée nationale du Brésil pour la mise en place du dispositif de protection de l’enfance brésilien.

J’ai repris les dossiers de tous les enfants « carencés » pris en charge dans notre service entre l’âge de 2 et 12 ans. Parmi ceux qui ont fait part d’agressions sexuelles subies, aucun enfant n’a déclaré d’emblée avoir subi de tels actes, tous n’ont pu en parler spontanément qu’après avoir établi un lien de confiance avec une éducatrice. Dans 85% des cas, les détails donnés étaient tels que les agresseurs ont reconnu les faits. Les quinze situations correspondaient aux critères de fiabilité de l’outil international SVA et aux autres critères, mais n’ont pas été retenues judiciairement du fait de l’effet Outreau que j’évoquerai plus loin. Aucune situation ne pouvait être qualifiée de fausses allégations ou de souvenir induit. Et pendant mes 35 ans d’exercice, je n’ai rencontré que cinq situations de fausses allégations, en consultation ou en expertise, qui sont apparues dans un fort conflit de garde entre des parents, ce qui n’était pas le cas des enfants carencés d’Outreau.

Afin de comparer ces résultats avec ceux d’autres professionnels, j’ai sollicité le Pr Jean-Yves Hayez, chef de service en pédopsychiatrie à Bruxelles, considéré comme un des praticiens ayant le plus d’expérience dans le domaine des abus sexuels et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur ce sujet. Le Pr Hayez a reçu 300 situations de mineurs ayant déclaré avoir été l’objet d’agressions sexuelles, dont 100 adolescents. Il n’a constaté que quatre situations de fausses allégations, dont deux lors d’un fort conflit parental. Dans les deux autres, qui concernaient des adolescentes carencées affectivement exprimant ainsi leur besoin d’amour « dépité » à l’égard d’un adulte, les déclarations étaient très floues et ne correspondaient à aucun des critères du SVA, aussi n’ont-elles posé aucun problème diagnostique.

On constate donc que les fausses allégations n’ont lieu que dans un contexte de conflit de garde d’enfants et c’est l’avis de nombreux auteurs. Mais même dans ce contexte, ce processus est très rare. Le ministère canadien de la justice a fait réaliser une étude qui montre qu’il existe un conflit grave entre les parents dans 10% des situations de divorce, et qu’il n’y a de fausses allégations que dans 2% de ces 10%, soit entre 0,2 et 0,4% des situations conflictuelles. Une autre étude de référence (Thoennes et Tjaden) montre que sur 9000 dossiers de famille en litige de garde des enfants, les fausses allégations d’attouchement sexuel n’étaient présentes que dans 0,6% des situations conflictuelles. L’absence de fondement scientifique concernant « l’aliénation parentale », c’est-à-dire le lavage de cerveau et les souvenirs induits par des adultes a amené les Associations américaines de psychiatrie et de Psychologie à obtenir la non-inscription de ce terme dans le DSM 5, manuel international de classification des maladies mentales. Le Guide du Conseil national des juges aux tribunaux de la famille aux USA dénonce l’utilisation abusive de ces termes qualifiés de « science de pacotille ». L’Association de psychiatrie espagnole a la même position, etc.

Au contraire, la mémoire dite « traumatique » concernant des agressions, d’autant plus qu’elles surviennent dans l’enfance, ne s’exprime souvent pas sous la forme de souvenirs organisés, car un sujet terrorisé n’est alors pas en situation de penser de manière cohérente. Les sensations et perceptions éprouvées lors du traumatisme, images, sons, gestes, se fixent fréquemment à l’état brut dans certaines zones du cerveau et peuvent resurgir répétitivement dans l’esprit du sujet sous forme de flashs, d’images isolées. Miri Keren, présidente de l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson, donne l’exemple suivant. Un père, jaloux dès la grossesse, essaye d’étrangler sa compagne lorsque leur bébé a un mois. Il a une obligation de quitter le domicile, mais à l’âge de six mois, l’enfant voit sa mère être frappée par son ex-mari, lequel, de plus, lui crache au visage. Cet homme perd ensuite ses droits de visite pour une durée illimitée. À deux ans, lorsque la marche libère ses mains, cet enfant frappe au visage sa mère et les autres enfants à la crèche et leur crache dessus.

L’effet Outreau : tous les professionnels sérieux constatent qu’il est devenu extrêmement difficile voire impossible de protéger un enfant abusé sexuellement, car sa parole est systématiquement mise en cause, même s’il a plus de six ans, depuis le procès de l’affaire d’Outreau et la transcription qu’en ont fait les médias. Un exemple : Loana (prénom changé) âgée de 13 ans ne voit son père qu’en visite médiatisée, c’est-à-dire en présence permanente de professionnels, à l’hôpital. Sa mère, désocialisée, ne vient plus la voir et ne peut donc pas être à l’origine de fausses allégations. Contre mon avis et celui du juge des enfants, la Cour d’Appel autorise le père, que nous soupçonnons d’avoir commis des attouchements dans le passé, à accueillir sa fille une après-midi tous les 15 jours. À son retour de la première après-midi, Loana est méconnaissable : très angoissée, elle se déshabille et se met à une fenêtre en hurlant, et déclare avoir été violée par son père, en précisant qu’il a mis un préservatif. Elle est dans un tel état qu’on doit l’hospitaliser quelques jours en psychiatrie. L’examen gynécologique en médecine légale confirme la défloration. Attention, Outreau ! Donc le père bénéficie d’un non-lieu. Que des avocats de la défense essayent de dénigrer le savoir existant en la matière, cela concerne la représentation qu’ils ont de leur éthique personnelle. Mais dans la manière dont ils ont rendu compte des procès précédents, certains médias ont fait preuve de l’arrogance tranquille de l’ignorance assumée. Il serait souhaitable que cela ne se reproduise pas.

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10/ Les lettres réparatrices par Dr Victor Simon

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Cette étape peut parfois précéder la confrontation. Elle prépare la victime à l’affrontement quand son bourreau est 
encore vivant et qu’il peut être contacté. Il arrive que les abuseurs ne soient plus présents et proches : ils ont quitté la 
région, le pays parfois, ou bien sont morts. Ces lettres sont 
alors utilisées dans un travail de réparation, accompagné par le 
thérapeute. Yvonne Dolan1, psychologue américaine, spécialisée dans le traitement de l’abus sexuel, les utilise systémati
quement.
Il s’agit d’un acte volontaire. Elles sont, certes, rédigées à la 
demande du thérapeute, mais ce dernier ne doit cependant 
jamais exercer de pression sur le sujet pour qu’il les écrive. 
Elles font partie du processus thérapeutique, devront être écri
tes un jour ou l’autre si l’abuseur n’est plus là.
Dans un premier temps, ces lettres sont remises au théra
peute qui en analyse le contenu en séance et demande parfois 
de le modifier s’il lui semble qu’il risque d’être détourné par 
l’abuseur contre la victime (insultes, violence verbale). Il 
arrive que certains patients envoient la première lettre à leur 
abuseur, sans que le thérapeute en ait pris connaissance, ce qui montre bien que le passage de victime à vivant peut s’opérer 
plus vite qu’on ne l’imaginerait.
La première lettre : adressée à l’abuseur
Le sujet décrit les détails de l’abus, les sentiments suscités, la 
façon dont sa vie en a été affectée. Il lui demande réparation 
sous la forme qui lui semble la plus appropriée. Cette lettre 
doit être le plus factuelle possible dans la description de l’abus 
et plus émotionnelle dans les conséquences personnelles, familiales, scolaires et sociales.
La deuxième lettre : la réponse envisagée de l’abuseur
On demande à la victime d’imaginer et de rédiger la réponse 
probable de l’abuseur. Cette lettre peut également contenir le 
récit de ce que l’abuseur a pu dire lors d’une confrontation 
réelle, soit au sein de la famille, soit devant des instances judi
ciaires ou policières.
Elle doit refléter toutes les craintes du sujet en réponse à la 
première lettre. Cette deuxième lettre est souvent plus doulou
reuse à écrire que la première. La victime connaît parfaite
ment le mode de fonctionnement de son bourreau et sait à 
l’avance ce qu’il répondra. Le lui faire écrire lui permettra de 
mieux préparer le contenu de la troisième lettre.
La troisième lettre : la réponse « idéale » de l’abuseur
Le sujet doit rédiger dans le détail la réponse qu’il attend. 
qu’il souhaite recevoir, réponse que l’abuseur écrirait s’il 
était capable de reconnaître sa responsabilité, les conséquen
ces de son acte, et capable de manifester du remords, de 
demander à sa victime de lui accorder son pardon, et 
d’accepter de s’impliquer dans un processus de réparation ou 
de reconstruction (par exemple, en lui payant une année de 
formation ou d’études, en réglant les honoraires de thérapie. 
en lui offrant quelque chose qui lui apporterait symboliquement 
une réparation…).

En fait, c’est la lettre qu’il attend, qu’il n’a pas reçue, et 
qu’il n’aura guère la chance de recevoir un jour. Il aimerait 
tant ! Cette lettre répare le sujet, car elle lui procure les messa
ges de soutien, d’excuse et de validation du traumatisme qui 
lui sont refusés. Quelle que soit la réponse réelle de l’abuseur, 
cette lettre est primordiale. Elle donne au patient la capacité 
de se pardonner et de ne plus se considérer comme un être 
indigne de vivre ou d’être aimé.
Ces trois lettres sont utiles lorsque l’abuseur a disparu, ou 
est mort, ou refuse d’endosser ses responsabilités, ou que la 
confrontation tourne court du fait de la mauvaise foi de l’abu
seur, parfois même de son conjoint ! Étonnant, mais banal 
dans le système « loyauté-protection » qui verrouille certaines 
familles.
Après avoir écrit ces trois lettres, le sujet peut décider 
d’envoyer ou non la première. Le fait que les deux autres aient 
été écrites l’aidera à mieux supporter la réaction, ou l’absence 
de réaction, de l’abuseur.
1. Y. Dolan, Guérir de l’abus sexuel et revivre, Satas, 1996.

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2/ Abus sexuel sur mineur : Ce livre est un cri !
3/ « se faire violer » au profit « d’être violée »
4/ Après un viols par inceste un trouble de la construction de la réalité et du monde environnant : Qui croire ?
5/ Les signes fréquents du refoulement après des viols par inceste
6/ De la spécificité du Syndrome Post-Abus Sexuel (SPAS)
7/ L’agresseur et ses stratégies
8/ Le ressenti de l’agresseur au moment des faits
9/ Recueillir le témoignage d’un enfant, lors du dépôt de plainte pour agressions sexuelles

Les Lavier, indemnisés d’Outreau, un couple sans le sou