°°°/ "Une émission de salubrité publique" par François de Closets – 29 mars 1989

Lundi 27 mars,
le magazine « Médiations », sur TF 1,
sera consacré aux abus sexuels sur les enfants.
Son présentateur s’en explique.

Le Nouvel Observateur. – N’avez-vous pas peur d’aborder à une heure de grande écoute un sujet aussi scabreux ?

François de Closets. – Effectivement, il ne s’agit pas d’une émission pour les enfants de 8 ans. Mais nous ne passons pas à une heure d’écoute familiale, puisque nous prenons l’antenne entre 22h15 et 22h30. Pour un tel sujet, cela me parait une bonne chose. Le thème est clairement annoncé. Si les parents ne sont pas capables d’éloigner les enfants de la télévision à 22h30, alors il existe un vrai problème dans la famille.

N.O. – Certains vont vous accuser de faire la course à l’Audimat en flattant les bas instincts ?

F. de Closets. – Nous craignons plutôt un effet de répulsion. Je le regretterais ; car il faut que de nombreux Français regardent de telles émissions. Ce n’est pas un hasard si le secrétariat d’État chargé de la Famille a lancé une grande campagne d’information sur ce sujet.

En faisant cette enquête, nous avons relevé que les abus sexuels, et notamment l’inceste, sont beaucoup plus fréquents que nous ne l’imaginions : et qu’ils se produisent dans tous les milieux. Et aussi qu’ils sont très rarement découverts, parce que la société, c’est-à-dire les voisins, les gendarmes, les juges, tout le monde s’efforce de ne pas entendre l’enfant maltraité. D’instinct, on tente d’étouffer cette parole porteuse de scandale social. Vous ne pouvez pas imaginer l’état de détresse d’un enfant face à cette indifférence générale. C’est pourquoi il faut en parler ; c’est une œuvre de salubrité publique. Nous devons tous nous mobiliser ; presse, pouvoirs publics, école. Je vous assure que, maintenant que j’ai découvert ces choses, je ferais cette émission même si elle ne devait réussir que cinq points d’Audimat.

N.O. – Est-ce que vous ne craignez pas que le fait d’en parler incite des maniaques à passer à l’acte ?

F. de Closets. – On peut toujours le craindre. Mais je suis convaincu qu’il y aura bien davantage de gens tentés par l’acte et qui seront inhibés, bien plus de mères qui seront attentives. Le pire, c’est de déculpabiliser la sexualité sans culpabiliser l’inceste et la pédophilie, comme on a tendance à le faire.

N.O. – Ne risquez-vous pas de troubler et de traumatiser des enfants, d’abîmer l’image de leurs parents ?

F. de. Closets. – D’abord, je le répète, cette émission n’est pas faite pour les jeunes enfants. Ils relèvent d’une autre forme d’information, qui devrait être donnée à l’école. On peut parfaitement faire ces mises en garde sans provoquer les troubles que vous dites. Mais on n’en est encore qu’aux toutes premières expériences en France. Cette prévention, c’est comme la vaccination. Elle peut provoquer une réaction légère et salutaire, mais elle arme l’enfant contre le pire.

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°°°°/ La parole qui sauve par Pierre Arpaillange – garde des Sceaux

°°°°/ La parole qui sauve par Pierre Arpaillange – garde des Sceaux – Le Nouvel Observateur : 21-29 mars 1989

Une interview du garde des Sceaux
La parole qui sauve
« Je vais inciter les barreaux à organiser une véritable défense de l’enfant », révèle Pierre Arpaillange
Le Nouvel Observateur. – Le gouvernement lance une campagne de prévention et d’information sur l’enfance maltraitée. Certains psychiatres estiment qu’il ne faut pas  »médiatiser » ce problème, surtout en ce qui concerne l’inceste et le viol. Quel est votre avis ?
Pierre Arpaillange. – Il faut absolument en parler ! Savez-vous que la plupart des enfants ignorent que l’inceste est interdit ? Ils croient le plus souvent que les adultes ont tous les droits sur eux. Françoise Dolto a bien expliqué ce phénomène. Le programme de prévention mis en place par le gouvernement s’appuie sur les travaux de nombreux psychiatres et spécialistes du développement de l’enfant, qui offrent toutes les garanties. Des films, des documents seront diffusés dans les écoles. Parler aux enfants, faire parler les enfants, c’est notre mot d’ordre. Il faut faire comprendre à l’enfant que son corps lui appartient…
N.O. – Justement, en France, l’enfant est finalement un « non-être » juridique, sans recours face à la toute-puissance des parents.
P. Arpaillange. – Ce n’est pas exact. Certes, selon la loi, l’enfant est en principe un « incapable ». Mais il a aussi des droits. Il peut par exemple saisir le juge des enfants. Il peut donner son avis et être entendu, notamment lors des procédures d’adoption ou de divorce… Je souhaite que le statut de l’enfant évolue. Mais attention, il ne faudrait pas, en lui donnant davantage de responsabilités, déresponsabiliser les adultes !
N.O. – Souvent, l’enfant maltraité est représenté au tribunal par l’avocat des parents « maltraitants ». Le « bourreau » et la victime ont le même avocat ! Jacques Barrot propose que les mineurs soient systématiquement représentés par un « défenseur des enfants ». Qu’en pensez-vous ?
P. Arpaillange. – Je ne connaissais pas encore cette proposition. Mais d’abord, une précision : la victime n’est pas forcément défendue par l’avocat de son « bourreau ». Quand l’enfant est maltraité par ses parents, le juge a la possibilité de désigner un tuteur pour qu’un avocat distinct soit nommé… Cela dit, il faut tout faire pour que l’enfant puisse bénéficier d’un défenseur attentif et compétent, disponible et bien formé. J’ai l’intention d’inciter les barreaux à organiser une véritable défense de l’enfant. Le barreau de Lille, par exemple, a commencé à la mettre en œuvre. A Paris, c’est en projet. Je soutiendrai toutes ces expériences.
N.O. – La loi du silence aussi tue les enfants. Les voisins, les proches savent et se taisent. Pourquoi ne pas les poursuivre pour « non-assistance à personne en danger » ?
P. Arpaillange. – C’est pour lutter contre cette loi du silence que le gouvernement organise une campagne d’information. Souvent, les voisins ne savent pas à qui s’adresser quand ils ont connaissance de difficultés ou de drames : les médecins, l’assistante sociale, les gendarmes…
N.O. – Il arrive même que les rnédecins ou les assistants sociaux ne préviennent pas la justice et la gendarmerie. Ne faut-il pas instaurer une « obligation de dénoncer » ?
P. Arpaillange. – Médecins et assistants sociaux sont automatiquement relevés du secret professionnel dans ces cas-là. Mais il est vrai que bien souvent les faits sont signalés tardivement, ou même pas du tout, au juge des enfants ou au parquet. C’est pour cette raison qu’un projet de loi va être déposé à la prochaine session du parlement en avril. Son but ? Améliorer la coordination entre les autorités administratives, médicales et judiciaires. La justice a une double mission : protéger les enfants et punir les coupables. Des textes existent. Ils permettent d’aller vite : dès que les faits sont portés à la connaissance des juges des décisions peuvent être prises dans la journée. Ces textes sont suffisants à condition d’être utilisés au bon moment et à bon escient. Ce n’est pas facile car la justice doit punir. Mais aussi préparer l’avenir du mineur sans rompre totalement les liens familiaux. C’est une tâche complexe. Ce n’est pas uniquement un problème de loi ou de répression… Je suis le premier à regretter les lenteurs de la justice. Mais je tiens à souligner que devant le juge des enfants la procédure est une des plus souples et des plus rapides.
Propos recueillis par Marie-France Etchegoin