Protection de l’enfance : « Le numéro de dossier l’emporte sur le jeune »

Logo-Libération13 juin 2016
Par Elsa Maudet

A l’occasion des assises de la protection de l’enfance, Adrien Durousset, ex-enfant placé, revient sur les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance et propose des pistes d’amélioration.

Ce lundi et mardi ont lieu à Metz les neuvièmes assises nationales de la protection de l’enfance, rendez-vous des professionnels du secteur. Adrien Durousset, aujourd’hui âgé de 24 ans, a lui-même été placé et ballotté durant son enfance de foyers en familles d’accueil. Dans Placé, déplacé, son livre témoignage sorti début mai, il dénonce la mauvaise marche de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).

Sentiment d’être traité comme une marchandise, obligation de rendre visite à des parents qui n’ont que faire de lui, familles d’accueil qui ne l’intègrent jamais comme un des leurs, violences physiques et psychologiques de la part d’une assistante familiale, appels au secours ignorés par l’ASE, impossibilité de se projeter dans l’avenir… Adrien Durousset dresse un inventaire des terribles dysfonctionnements qui ont jalonné son parcours. A l’occasion des assises, il revient dessus et formule des propositions.

Les neuvièmes assises de la protection de l’enfance démarrent ce lundi. Qu’en attendez-vous ?

J’attends des professionnels qu’ils soient plus attentifs à la parole de l’enfant. Aujourd’hui, elle n’est pas prise au sérieux, ou partiellement. J’attends aussi des professionnels qu’ils arrêtent le placement judiciaire et se posent la question de la responsabilité parentale. On pose seulement la question des enfants en danger, pas celle des parents. Il faut les accompagner à être parents, qu’il y ait une obligation de soin car la majorité a des problèmes psychiatriques.

Quand j’étais en famille d’accueil, on m’a fait rentrer chez des parents complètement dépravés [pour le week-end, ndlr]. C’était sordide. C’étaient deux jeunes gens tournés vers l’alcool et la pornographie, qui avaient des troubles psychiatriques. J’aurais voulu rentrer chez mes parents s’ils avaient été soignés.

Dans votre livre, on assiste à une succession de dysfonctionnements de la part de l’Aide sociale à l’enfance. Lesquels vous paraissent les plus alarmants ?

Il y a eu la famille d’accueil islamiste radicalisée. On ne s’est pas posé la question de qui elle était vraiment avant de lui confier des enfants. Quand le couple a divorcé, on ne s’est pas demandé si la femme était apte à poursuivre l’accueil. Une femme est seule à s’occuper de gamins et l’ASE ne trouve rien à redire. Il n’y a pas de contrôle.

Il y a aussi eu le problème du copinage avec l’éducatrice, qui avait des liens personnels avec la famille d’accueil, et non uniquement professionnels. Les visites étaient toujours programmées, donc tout le ménage était fait, tout était nickel, il fallait se faire propre et dire à l’éducatrice que tout se passait bien. Je souhaiterais qu’il y ait des contrôles inopinés.

J’ai fait beaucoup de lieux d’accueil, ça m’a déstabilisé. On te dit « tu as un lieu pendant deux ans puis il faut changer » et il y a des foyers qui ferment l’été, pendant les vacances. Ça me choque. C’est nous qui en payons les conséquences.

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Le système familial incestueux

Logo-ArcaP. Bauchet : membre-chercheur à l’Association de recherches en criminologie appliquée (Arca).
E. Dieu : Criminologue et Président de l’Arca.
O. Sorel : Dr Psychologie, laboratoire de Psychologie des Ages de la vie (Univ.Tours).

Résumé

L’inceste, interdit et tabou fondamental, interroge nombre de chercheurs du fait de la fréquence de sa transgression.
Parmi eux les systémiciens qui, considérant la famille comme un système, étudient l’inceste à partir du postulat que la dynamique familiale est influencée par chacun de ses membres : les rôles de la victime et de l’agresseur ne sont donc pas plus importants que ceux des autres personnes de la famille ; ainsi, plusieurs typologies de familles incestueuses ont été établies, présentant toutes malgré tout des caractéristiques semblables.
De plus, la variabilité des systèmes familiaux entraîne plusieurs types d’incestes possibles :
en effet, les relations familiales influent sur les modalités de la situation incestueuse qui peut être violente ou pacifique, plus ou moins prolongée et intense, et qui peut impliquer différents acteurs.
Dans le schéma familial traditionnel, les trois incestes rencontrés que sont l’inceste paternel, l’inceste maternel, et l’inceste fraternel témoignent dans leurs modalités d’un système particulier.
Dans le cas où l’agresseur est le père, la mère a une part de responsabilité dans l’instauration de la relation incestueuse : ces mères de victimes possèdent des traits de personnalité communs qui expliquent la non-dénonciation des faits ou la tendance à ne pas voir, c’est-à-dire leur complicité passive ; quant à la mère de l’agresseur, elle est elle aussi impliquée puisque responsable de la construction de la personnalité de son enfant.

Introduction

L’inceste, un interdit fondamental

Le terme « inceste » qui vient du latin incestrum, signifie non chaste, souillé, impur. Cette perversion, ou déviation sexuelle par rapport à une norme, décrit une relation sexuelle entre individus d’une même famille, au sens large du terme : elle peut avoir lieu dans un contexte  intranucléaire c’est-à-dire au sein du noyau de la cellule familiale (par exemple, un père qui inceste sa fille) ou extranucléaire (par exemple, un oncle  maternel qui  inceste  sa  nièce) ; de  même, la transgression de l’interdit existe lorsque l’agresseur fait fonction de parent (père adoptif, beau-père…). Autrement dit, il y a inceste quand le mariage est impossible comme l’indique les articles 161 et suivants du code civil.

Art 161 : « En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la m.me ligne. » ;  Art 162 : « En ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la sœur. » Art 163 : « Le mariage est encore prohibé entre l’oncle et la nièce, la tante et le neveu. »

L’approche psychanalytique analyse l’inceste comme un tabou fondamental (Freud, 1913). En effet, il suppose qu’à l’origine de l’humanité existait une horde primitive, groupement humain sous l’autorité d’un père tout-puissant qui possède seul l’accès aux femmes ; les fils du père, jaloux de ne pouvoir posséder les femmes, se rebellèrent et le tuèrent, pour le manger en un repas totémique. Une fois le festin consommé, le remords se serait emparé d’eux, qui érigèrent en l’honneur du père, et par peur de ses représailles, un totem, son image. Afin que la situation ne se reproduise pas, et pour ne pas risquer le courroux du père incorporé, les fils établirent des règles, correspondant aux deux tabous principaux : la proscription frappant les femmes appartenant au même totem (inceste) et l’interdiction de tuer le totem (parricide).

FREUD, Totem et Tabou (1913), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001.

Mais bien que l’interdit soit clairement posé, l’ethnologue Lévi-Strauss note que l’inceste se rencontre dans différentes sociétés et à travers diverses époques, ce qui interroge son universalité. Ainsi, il est pratiqué par les Incas ; ou encore, jusqu’en 1850 en Angleterre, on ne pouvait pas, même veuf, épouser la sœur de sa femme. Par ailleurs, on note sa relative  fréquence dans les grands mythes fondateurs, notamment le  mythe d’Œdipe, qui donna lieu au complexe d’Œdipe en psychanalyse : ce jeune homme, à la recherche de ses parents, tue  un homme sans savoir qu’il s’agit de son père Laïos et épouse la reine de Thèbes sans savoir qu’elle est sa mère Jocaste ; quand la vérité éclate, Jocaste se suicide, Œdipe se crève les yeux, et les enfants qu’ils ont eu ensemble sont chassés de la ville, maudits par l’inceste de leurs parents.

LEVI-STRAUSS, C., (1949). « Les structures élémentaires de la parenté », Paris, Presses universitaires de France.

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