L’art utile pour se reconstruire

Logo-La-Nouvelle-Republique19 février 2016

Une exposition-témoignage est installée, jusqu’à ce dimanche, à la Galerie Neuve. Initiée par Muriel Rojas-Zamudio, psychanalyste, cette exposition de peintures, de dessins et de figurines, reflète les traumatismes qu’ont vécu trois femmes, présentes lors du vernissage samedi dernier. La Maison aux miroirs déformants, le nom de cette exposition, traite de l’exploitation sexuelle subie dès le plus jeune âge, l’expérience du handicap en institution et la négation des deuils. C’est tout d’abord une histoire, écrite par Muriel Rojas-Zamudio, dans laquelle les personnes qui ont subi des violences peuvent se retrouver. Le moyen artistique permet de se soulager de ces traumatismes. Au travers de ces œuvres, les artistes livrent ce qu’elles vivent au quotidien.
Parmi les 3 artistes présentes, Béatrice, qui a subi des violences durant son enfance et en a gardé de gros troubles psychiques et physiques, peint des aquarelles dénuées de couleurs vives. C’est sa vie, son passé, qu’elle exprime dans ses tableaux. Grâce à la peinture, elle a retrouvé un peu d’optimisme : « l’art-thérapie est un médicament sans effet secondaire », dit-elle.
Anaïs, en situation de handicap, manifeste, quant à elle, par le biais de ses dessins, les humiliations subies dans une institution.
Une troisième a vécu des deuils précoces et a développé de grandes angoisses. La peinture lui a permis de ne pas passer à l’acte. Chacune de ces femmes s’accorde à dire que l’expression artistique aide à leur reconstruction post-traumatique.

La Maison aux miroirs déformants, exposition jusqu’au dimanche 21 février, tous les jours, de 10 h à 18 h 30. Galerie Neuve, place Neuve. Contact : murielrojas@hotmail.com.
Tél. 06.81.08.06.98.

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La dissociation vue par une non-dissociée (épisode n°2)

Je crois que le travail de Béatrice sur ce blog est un grand tournant dans sa vie et dans celles des personnes qui la suivent. Pour elle, la rencontre avec l’Art-Thérapie et Emmanuelle a été une impulsion pour sortir la tête de l’eau. Pour nous qui la suivons, j’imagine des remises en question sur nos pratiques professionnelles, le cas échéant, mais aussi dans notre vision du viol (inceste, prostitution forcée, sexualité conjugale…) et de ses conséquences. Pour moi, l’une des grandes leçons de cette expérience d’immersion –  via le blog et les rencontres sur le terrain – c’est que le vécu des personnes comme Béatrice, même si elles ne parviennent pas toujours à nous l’expliquer et nous à l’entendre, est une réalité autant physique que psychique. Or cette réalité, notre société en est responsable
lorsqu’elle la minimise ou s’en détourne pour ne pas assumer son impuissance à la soulager ;
lorsqu’elle refuse de remettre en question les valeurs culturelles qui lui ont permis d’exister.

Je viens de passer trois jours avec Béatrice. Nous avons assisté ensemble au groupe de parole de l’association Sortir du  Silence – moment particulièrement bouleversant pour moi – et appris à mieux nous connaître. Certains moments ont été franchement drôles, par exemple les repas : Béatrice a très difficilement accès à ses perceptions sensorielles ; il faut que celles-ci soient particulièrement élevées pour qu’elle en prenne conscience, il lui est donc difficile de doser les assaisonnements ou d’évaluer la bonne température d’un plat. Ma peur de la blesser en le lui disant est devenue une blague et finalement nous avons trouvé un bon compromis : les gâteaux !

D’autres moments ont été plus difficiles, notamment lorsque épuisée – Béatrice ne ressent pas non plus la fatigue et dort très peu, ce dont je ne suis pas capable – je n’ai pas su entendre ce que cachaient ses objections à mes tentatives de la faire positiver. Béatrice a cru que mon aveu d’impuissance était un reproche ou un abandon, alors excédée je suis partie me coucher… Au réveil j’ai réfléchi et décidé (enfin !) de ne plus chercher à la « changer » mais d’optimiser l’existant en créant une liste de thèmes qu’elle pourrait travailler pour le blog. Nous avons réussi à nous expliquer sereinement et chacune a pu faire un pas vers l’autre : j’ai accepté ses difficultés, elle a accepté l’idée que des solutions pourraient émerger.

Nous avons pu intégrer au weekend trois séances de travail, lesquelles ont toutes donné lieu à des dissociations :
une séance de peinture
une séance de modelage
une séance de travail inspirée du livre utilisé sur ce blog

Je ne rentrerai pas ici dans le détail des séances pour respecter le secret professionnel. Je peux en revanche partager ce qui me semble pertinent pour comprendre comment semble fonctionner la dissociation de Béatrice :
– les personnalités de Béatrice qui ont accès à la parole (ex. Béatrisse, Béa…) ont envie de communiquer avec les autres, c’est pourquoi elles viennent lorsque nous travaillons. Elles ont envie de me parler de ce qu’elles ressentent ou de ce qui les a marquées (leurs souvenirs)
– les parties jeunes ont envie que je participe à l’activité, que nous « jouions » ensemble (ex. peindre ensemble avec les mains)
– le modelage fait venir Béa, elle s’en sert pour « faire chier » parce qu’elle associe cette activité à un ordre. En modelant n’importe quoi ou en imposant le sujet, elle essaie de me dominer, en même temps elle me parle de tout ce qui la met en colère mais aussi de sa passion : jouer au cutter. Elle dit qu’elle ne m’aime pas car elle me trouve bizarre et trop sûre de moi, en même temps elle me demande souvent mon opinion durant la conversation. Elle dit qu’elle est la seule à commander et à exister.
– il y a une personnalité très primaire (elle se comporte un peu comme un enfant de 12 à 18 mois), qui me laisse perplexe car je me demande si ce n’est pas Grr… Dans tous les cas elle n’est pas méchante, elle fait juste des expériences mais comme elle manque de finesse et bien elle abime souvent les outils ou les feuilles ! Ce qui est curieux c’est que malgré son archaïsme elle a des « intentions » dans la mesure où elle a envie de créer des œuvres elle aussi, et même si pour nous cela ne ressemble à rien, on sent qu’elle a voulu représenter quelque chose de précis
– j’ai souvent l’impression que les personnalités intègrent le vécu de Béatrice et qu’il y a par moment une sorte de continuum entre elles. Un exemple : suite à la lecture de mon compte rendu clinique par Béatrice, une personnalité m’a écrit parce qu’elle ne voulait pas aller au lit et voulait dessiner et jouer au cutter avec moi ! Dans cette simple phrase, j’ai pu reconnaître plusieurs personnalités, des allusions à mes conclusions cliniques, et le fait qu’elle m’appelle par mon prénom était étonnant car seule Béatrice le fait normalement.

PeintureRouge  Exercice n°1
Modelage1  Exercice n°2

Exo3  Exercice n°3

Le reste du weekend nous a permis de parler de trois grands thèmes : l’opération prévue en novembre, les difficultés à se comprendre au sein du foyer et le projet d’exposition. A ce sujet, il y a plusieurs pistes possibles : vers quel public orienter l’exposition ? A qui proposer un partenariat ? Quels thèmes mettre en avant ? Béatrice et moi sommes d’accord sur le fait que cette exposition doit rendre hommage à ce blog et respecter les motivations de celle qui en a eu l’idée, Emmanuelle. J’aimerais pour ma part que cela permette de sensibiliser aux réalités quotidiennes des personnes qui ont vécu l’inceste et souffrent de dissociation, afin qu’évoluent le regard de leurs soignants mais aussi de leurs familles. Reste à savoir qui partagera cette vision et pourra nous soutenir en nous prêtant une salle ou nous aidant à diffuser notre message.