Comprendre l’emprise : la relation « en-pire »

Logo Agora Vox« Le sentiment de notre existence dépend pour une bonne part du regard que les autres portent sur nous : aussi peut-on qualifier de non humaine l’expérience de qui a vécu des jours où l’homme a été un objet aux yeux de l’homme ». [Primo LEVI, « Si c’est un homme », 1947.]
Certains d’entre vous l’auront probablement compris, le petit jeu de mots de ce titre évoque l’Empire comme souvent cité par celles et ceux qui dénoncent l’avènement d’un nouvel ordre mondial, mais là n’est pas le sujet de cet article. Quoique…
Le vingtième siècle a été marqué par des crimes contre l’humanité perpétrés par des « foules[1] » sous l’emprise de leurs dirigeants. Il restera dans l’histoire comme un triste exemple des systèmes totalitaires déployés sur des nations tout entières. Mais l’emprise est un procédé de domination sur autrui qui ne se manifeste pas uniquement à l’échelle d’un pays.
Étymologiquement « empire » et « emprise » sont de même origine. Leurs définitions respectives données par le CNRTL sont très proches l’une de l’autre et ces deux termes appartiennent à la famille vocabulaire du verbe transitif « prendre » et de ses participes passés et adjectifs « pris, prise ». Cette similitude révèle le caractère universel du concept de relation d’emprise pour peu que nous gardions constamment à l’esprit la notion de gradualité (fréquence, intensité et durée) qui y est afférente (nous sommes tous sous emprise à un degré ou un autre).
L’utilité de cette approche est très simple : comprendre les mécanismes en œuvre dans une relation d’emprise permet de s’en déprendre et donc, dans un certain sens, de reprendre le contrôle de notre libre arbitre qui, contrairement à certaines croyances, ne nous est pas acquis, mais doit être conquis.

Qu’est-ce qu’une relation d’emprise ?
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Les dangers de la Résilience par Serge Tisseron


Serge Tisseron
Psychanalyste et psychiatre
Auteur de l’Intimité surexposée,
Hachette, Paris 2002.
« Résilience » ou la lutte pour la vie,
Le Monde diplomatique, août 2003,
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Car, derrière ce mot, le mythe de la Rédemption n’est pas loin, le « résilient » étant censé avoir dépassé la part sombre de ses souffrances pour n’en garder que la part glorieuse et lumineuse. On entend de plus en plus de gens parler de leur « résilience » comme si c’était une qualité à porter à leur crédit, voire quelque chose qui pourrait nourrir l’estime d’eux-mêmes. Mais, à les écouter, on se prendrait parfois volontiers à plaindre leur entourage…
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Enfin, non seulement le résilient peut devenir une source de traumatismes graves pour les autres, y compris sa propre famille, mais il peut même parfois déployer une grande énergie destructrice.
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Dans la pratique clinique, il n’est pas rare de rencontrer des patients dont l’organisation psychique correspond à ce schéma. Du point de vue de leur existence familiale et sociale, ils semblent avoir parfaitement surmonté leurs graves traumatismes d’enfance. Ils sont polis, respectueux, sérieux et honnêtes ; comme l’était David Hicks (7). Pourtant, leur haine à l’égard de leurs parents ou de leurs éducateurs maltraitants reste intacte et ne demande qu’à être déplacée vers un ennemi que leur groupe leur désigne, permettant du même coup de mettre définitivement hors de cause ces parents ou ces éducateurs.
En pratique, pas plus qu’on ne peut savoir si une guérison apparente est stable ou pas, on ne peut déterminer à quoi correspond un altruisme apparent chez une personne qui a vécu un traumatisme. Il peut en effet résulter d’un dépassement réussi de celui-ci, mais aussi de la mise en sommeil d’une haine inextinguible pouvant conduire, plus tard, à réaliser un acte de violence inexplicable comme moyen de rendre vie à cette partie de soi à laquelle on n’a jamais voulu renoncer.
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(7) Le Monde, 29 décembre 2001.
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