Livre – La chauve-souris

Autour de la chauve-souris
Page 335
L’un des étonnements que suscite la classification des mammifères est le grand nombre d’espèces de chauves-souris. Elles sont près de mille, ce qui représente environ 20% de l’ensemble des mammifères. Ces animaux, volants et nocturnes, attirent la crainte et le dégoût plutôt que l’intérêt ou l’affection. Les dictionnaires courants ne retiennent qu’un petit nombre de noms de chauves-souris : vespertilion, pipistrelle, oreillard, noctule, roussette (ou renard volant), vampire, rhinolophe (ou fer-à-cheval). Parce que leurs ailes sont en fait un développement de leurs mains, les chauves-souris constituent un ordre à part, l’ordre des chiroptères, du grec kheir « main » et pteron « aile ».

dav

Aristote distinguait seulement deux types de chauves-souris, respectivement nukteris et alôpêx, ce dernier nom s’appliquant par ailleurs au renard. On peut supposer qu’il désignait ainsi d’une part les plus petites chauves-souris, dont la tête est en général plus ou moins effrayante, et d’autre part les plus grandes chauves-souris, dont la tête ressemble parfois à celle d’un renard. (cf. Le renard qui vole et le renard qui nage, p. 64).
De même, jusqu’au XVIIIe siècle, on ne connaissant que deux espèces: la petite et la grande chauve-souris. Linné, Buffon et Daubenton décriront d’abord sept espèces, puis progressivement d’autres encore, ouvrant la voie aux générations suivantes de zoologistes, qui en sont aujourd’hui à énumérer près de mille espèces différentes.

De la nuit en grec, du soir en latin

En grec, le nom de la chauve-souris (terme générique) est nuteris, formé à partir de nux, nuktos « nuit », et il a été conservé en grec moderne (nukterida).
En latin, le goût de l’animal pour l’obscurité se manifeste dans vespertilio, du latin vesper « soir », d’où le nom vespertilion qui désigne certaines chauves-souris. C’est aussi du latin vespertilio que dérive l’ancien italien vipistrello « chauve-souris », qui évolue finalement en pipistrello, nom italien usuel de la chauve-souris en général. Mais c’est surtout le nom de cet animal en français qui mérite qu’on s’y attarde davantage.

Souris, d’accord, mais pourquoi chauve ?

La comparaison d’une chauve-souris avec une souris n’a rien de choquant, du moins pour les petites chauves-souris, et l’on peut admettre que le nom s’est ensuite appliqué aux plus grosses. On verra d’ailleurs que le nom de la souris ou du rat apparaît dans celui de la chauve-souris dans de nombreuses langues. Mais pourquoi chauve ? Bien sûr, on peut dire que certaines chauves-souris au moins, sans être chauves, ont le poil ras sur le dessus de la tête. Mais avant d’aller plus loin, une question vient à l’esprit : l’animal est-il qualifié de « chauve » dans d’autres langues ?

L’exception française

La réponse est négative, et on peut même ajouter que la motivation du nom de l’animal est plus claire dans d’autres langues. On retrouve ici le même isolement du français déjà rencontré pour le nom du cerf-volant (le jeu), où seul le français fait apparemment voler un cerf (cf. le « cerf » ne vole qu’en français, p. 266). Ainsi, la chauve-souris est :
une « souris volante » dans plusieurs langues germaniques (all. Fledermaus, néerl. vleermuis, dan. flagermus, suéd. flaiddermus)
un « rat ailé » en catalan (rat penat)
une « souris aveugle » en espagnol (murciélago) et en portugais (morcego)
un « vieux rat » en basque (sanguzar) de sagu « rat » + zar « vieux »
Mais pas de souris « chauve ». La forme chauve-souris du français ne peut se comprendre que si l’on rappelle qu’il existait une forme du bas-latin cawa sorix, où cawa désignait la chouette, qui est un animal nocturne, tout comme la chauve-souris. Plus tard, dans les Gloses de Reichenau, qui datent du VIIIe siècle, on peut lire l’explication du nom pluriel latin vespertiliones par calves sorices, ou cawa, d’abord déformé en calva « chauve », a abouti au français chauve.
Parmi les langues romanes, le roumain n’a suivi ni le latin classique, ni le bas-latin, mais a emprunté le nom de la chauve-souris au bulgare : liliac.

La chauve-souris en anglais

Le nom anglais, bat, est à mettre à part. ce nom, d’origine obscure, est peut-être issu d’un verbe du scandinave ancien signifiant « voleter ».
Enfin, Batman, héros surhumain de la BD américaine, créé en 1939 par le dessinateur Bob Kane et le scénariste Bill Finger, porte sur la poitrine une chauve-souris stylisée.

Le vespertilion

Chauve-souris de teille moyenne
Le nom vespertilion vient directement du latin vespertillo, qui désignait dans cette langue la chauve-souris en général. Mais ce nom vespertilion ne s’applique dans le vocabulaire savant actuel qu’à certaines espèces de chauves-souris de taille moyenne.
Ce nom vespertilion n’a pas d’équivalent en anglais et en allemand pour désigner collectivement ce type de chauve-souris, mais des noms d’espèces particulières. Ainsi, par exemple, le vespertilion des marais (Myotis dasycneme) se dit en anglais pond bat (de pond « mare ») et en allemand Teichfledermaus (de Teich « marais »). Le vespertilion de Daubenton (Myotis daubentoni) se dit en anglais Daubenton’s bat, en allemand Wasserfledermaus, en espagnol murciélago ribereño, c’est-à-dire « chauve-souris du rivage », car cette chauve-souris chasse près de la l’eau.

La pipistrelle

La chauve-souris la plus petite d’Europe
Le nom pipistrelle vient de l’italien pipistrello, qui désigne dans cette langue la chauve-souris en général. Il y a 50 espèces de pipistrelles, toutes du genre Pipistrellus. En allemand, comme en italien, chaque pipistrelles a un nom particulier, par exemple, la pipistrelle de Kuhl (Pipistrellus Kuhlii) s’appelle pipistrello di uhl en italien et Weissrandfledermauss en allemand (« chauve-souris dont le bord des ailes est blanc ») et la pipistrelle commune (Pipistrellus pipistrellus) se dit common pipistrelle en anglais, Zwergledermauss en allemand et pipistrello commune en italien, murciélago commún en espagnol.

L’oreillard

La chauve-souris aux grandes oreilles
L’oreillard a des oreilles démesurées par rapport à son corps, ce qui explique son nom proposé par Daubenton et repris dans les différentes langues d’Europe. Les oreillards appartiennent au genre Plecotus, nom latin scientifique forgé sur le grec plektos « tressé » et ous, otos « oreille », car les bords externes de leurs oreilles sont effectivement plissés.

La noctule

La nocturne
Daubenton écrit en 1759 : La noctule, ce nom vient des synonymes noctuela & nottola que les Italiens donnent aux chauves-souris, sans doute parce qu’elles ne paraissent que la nuit, comme la chouette appelée par les Latins noctua. »
Ce nom rappelle à la fois le nom grec de la chauve-souris (nucteris), qui évoque la nuit, et la relation étymologique lointaine qu’il y a entre la chouette et la chauve-souris. (c. souris, d’accord, mais pourquoi chauve ? p. 337)
En allemand, l’image est un peu plus développée, puisque Abendsegler signifie « voilier du soir ».

La roussette ou renard volant

une chauve-souris rousse et vraiment très grande
Le nom roussette, que l’on doit à Buffon, vient de roux, mais avec l’adjonction d’un diminutif qui étonne quelque peu quand on apprend que cette chauve-souris est parmi les plus grandes qui existent : la roussette géante a 1 m 50 d’envergure.
En réalité, chaque langue privilégie un aspect différent de cet animal :
seul l’italien a l’équivalent de roussette, avec rossetta.
L’anglais emploie plutôt l’expression flying fox « renard volant » d’autres langues germaniques préfèrent parler de « chien volant » all. Flughund, néerl. vliegende kond, dan. flyvende hund…)

Leonard de Vinci et la chauve-souris

C’est Léonard de Vinci (1452-1519) qui a été parmi les premiers à penser au modèle des ailes de la chauve-souris pour sa machine volante. Il écrit : « Rappelle-toi que ton oiseau ne doit pas avoir d’autre modèle que la chauve-souris, car ses membranes sont l’armature, c’est-à-dire la charpente des ailes […] la chauve-souris est aidée par sa membrane et s’oppose à la pénétration de l’air. »

La chauve-souris, précurseur de l’avion

Lorsque, quatre siècles après Léonard de Vinci, Clément Ader invente son aéronef, après avoir longuement étudié le vol des oiseaux et des chauve-souris, il choisit la forme d’une chauve-souris et plus particulièrement celle de la roussette des Indes, grâce à l’aide de Geoffroy Saint-Hilaire alors directeur du Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne. Il crée en même temps le mot avion, présent dans le texte de son brevet de 1890, sur le mot latin avis « oiseau ». L’Avion 1, ou Eole 1 a volé le 9 octobre 1890, sur une cinquantaine de mètres, à 20 cm du sol.

Le rhinolophe ou fer-à-cheval

avec une crête sur le nez
Le nom rhinolophe est forgé à partir du grec rhis, rhinos « nez » et lophos « crête », pour désigner une chauve-souris qui porte une sorte de crête sur le nez. Comme cette crête a un peu la forme d’un fer à cheval, on lui donne aussi un autre nom, moins savant : fer-à-cheval en français, horseshoe bat en anglais, Hufeisennase en allemand, murciélago herradura en espagnol.

Livre – L’étonnante histoire des noms des mammifères


Date de parution : 31/07/2014
Editeur : Robert Laffont
ISBN : 978-2-221-12194-8
EAN : 9782221121948
Format : ePub
Nb. de pages : 522 pages
Caractéristiques du format ePub
Pages : 522
Taille : 20 776 Ko
Protection num. : Digital Watermarking


Les animaux sont partout et leurs noms réservent bien des surprises… Sous chevron et sous chimère, il y a le nom de la chèvre. Sous cynisme et sous canicule, celui du chien. La vache se cache dans le mot vaccin, et le boeuf dans bucolique… On peut aussi retrouver le lion couché dans les hiéroglyphes de Cléopâtre, le nom de l’ours dans celui de l’océan Arctique (arktos en grec) ou encore la tête d’un taureau dans le dessin de la première lettre de l’alphabet.
En évoquant le loup, on se prend même à rechercher les liens qui existent entre les noms de Louvois, de Lope de Vega et de Virginia Woolf. Cet ouvrage sans équivalent n’est ni un dictionnaire, ni une encyclopédie, ni un manuel de zoologie, ni un quiz de culture générale – mais un peu tout cela à la fois. C’est surtout un fascinant bestiaire étymologique qui offre d’inattendus prolongements vers la géographie, la mythologie, l’histoire, la botanique, la littérature et même les constellations.
Amis des bêtes et amateurs de mots pourront ainsi s’émerveiller de cette étonnante histoire, écrite dans une langue simple et distrayante, des noms de quelque trois cents mammifères.


Ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur au corps des Mines, Pierre Avenas a été directeur de la recherche et développement dans l’industrie chimique. Il s’est également intéressé aux sciences naturelles et, passant de la nature aux mots employés pour la décrire, il a eu l’idée qui, après sa rencontre avec Henriette Walter, a abouti à un livre en 2003 sur les noms des mammifères et à l’ouvrage présenté aujourd’hui.
Henriette Walter, professeur émérite de linguistique à l’université de Haute-Bretagne, membre du Conseil supérieur de la langue française, a publié chez Robert Laffont de nombreux essais, dont Le Français dans tous les sens, L’Aventure des langues en Occident, Honni soit qui mal y pense, L’Aventure de la langue arabe en Occident, L’Étonnante Histoire des noms de mammifères et La Fabuleuse histoire du nom des poissons.

 Pour acquérir le livre, cliquez sur la couv.